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Rando-chenilles à Saint-Pons en Ardèche

Ce dimanche 1er mai, avec Martin, nous sommes allés en Ardèche pour refaire une randonnée que nous avions réalisée l’an passé, le 25 avril 2021.

Sur le site Visorando, la randonnée s’appelle Roche Chérie à Saint-Pons. C’est un itinéraire d’environ 10,5 km, avec un dénivelé positif de moins de 350 mètres. Une « petite » rando en somme, mais il ne nous en fallait pas plus, parce que nous savions que nous allions marcher très lentement et nous arrêter fréquemment pour observer des plantes et des chenilles.

Cette fois-ci nous décidons de faire la randonnée à l’envers, en partant tout de même du point de départ : l’année précédente, nous avions rencontré une grosse difficulté au niveau du point 5, et nous espérions nous en sortir un peu mieux dans l’autre sens. Vous allez voir, ce ne fut pas vraiment le cas !

Objectifs du jour : tenter de retrouver la Brune du pissenlit (Lemonia dumi), que j’avais observée l’année précédente lors de cette randonnée. J’espère aussi revoir l’Ecaille tesselée (Cymbalophora pudica), la Franconienne (Malacosoma franconica) et puis pourquoi pas des Zygènules (Heterogynis sp.), déjà observées aussi à cet endroit, mais que je n’avais pas eu le temps de photographier suffisamment à mon goût.

Nous arrivons au départ de la randonnée vers 8 heures et commençons à monter vers le hameau de Roche Chérie. Un de mes souhaits est rapidement exaucé en traversant un chemin bordé de Genêts scorpions (Genista scorpius).

Voici donc les Zygènules (Heterogynis sp.). On pourrait supposer qu’il s’agit de la Zygènule des genêts (H. penella), mais il n’est pas évident de distinguer les espèces au sein de ce genre, et d’ailleurs les espèces elles-mêmes ne sont pas clairement définies. Si j’ai bien compris, chez les Zygènules, il est davantage question d’ensemble de populations que d’espèces distinctes. Je m’en tiens donc à : Heterogynis sp.

insectes.jpgLes Zygènules sont extraordinaires. Si vous ne connaissez pas leur mode de vie, je vous invite à le découvrir en lisant le numéro 203 de la revue Insectes paru en décembre dernier, dans lequel j’ai eu la chance d’écrire un article sur le sujet intitulé Le petit déjeuner des Zygènules. Et si vous n’êtes pas encore abonné(e) à la revue, voici un petit résumé.
Au stade adulte, la femelle Zygènule des genêts ressemble à tout sauf à un papillon. C’est une créature boudinée, semblable à une grosse larve et dépourvue d’ailes ou d’antennes. C’est tout juste si elle a des pattes, car ces dernières ne sont pas très fonctionnelles et ne lui permettent que de se hisser péniblement au sommet de son cocon, après l’émergence, pour appeler un mâle. Après l’accouplement, elle retourne dans le cocon qu’elle avait tissé lorsqu’elle était chenille, et dépose ses œufs à l’intérieur. Je ne vous en dis pas plus, pour vous laisser un peu de surprise, mais le titre de l’article devrait vous mettre la puce à l’oreille concernant le comportement surprenant des chenilles à la naissance…

Pendant que je photographie mes Zygènules, Martin observe des orchidées au bord du chemin. Il y a de magnifiques Ophrys jaunes (Ophrys lutea), ainsi que des Ophrys bourdons (Ophrys fuciflora) que je ne prends même pas le temps de photographier, trop occupée avec mes chenilles (je le regrette à présent !).

Plus loin sur le chemin, nous trouvons de nombreuses toiles dans un Cerisier de Sainte-Lucie (Prunus mahaleb). Ce sont des Hyponomeutes, pas trop de doute là-dessus, mais lesquelles ? Je ne me suis jamais trop penchée sur leur identification, mais je sais qu’il existe une Hyponomeute du faux-merisier (Yponomeuta mahalebella) – cela dit, peut-être qu’elle n’est pas la seule à se développer sur cet arbre. Si vous en savez plus à ce sujet, je voudrais bien savoir.

Et puis au bord du chemin, nous faisons une belle rencontre à laquelle je ne m’attendais pas. En observant une Aristoloche à feuilles rondes (Aristolochia rotunda), je remarque une minuscule chenille sombre sur une fleur. Tiens donc, l’Aristoloche, c’est justement la plante-hôte d’un papillon emblématique du Sud : la Diane (Zerynthia polyxena).

C’est ma première rencontre avec cette espèce, et je n’ai pas encore eu la chance d’observer le papillon. La chenille en tout cas est très mignonne : elle utilise les fleurs d’Aristoloche comme cachette. Sur les deux premières photos, en regardant attentivement, vous verrez qu’il y a deux chenilles : l’une sur la fleur, l’autre à l’intérieur. Au total, nous observons 5 ou 6 individus, tous plutôt jeunes.

Un peu plus loin, je m’arrête pour observer une chenille de Double-Oméga (Diloba caerulocephala) suspendue dans le vide, et Martin remarque pendant ce temps un groupe de chenilles dans un Orme champêtre (Ulmus minor). Ce sont des Grandes tortues (Nymphalis polychloros). C’est la première fois que j’observe la Vanesse de l’Orme sur cette plante hôte !

Encore un peu plus loin, en arrivant sur la route qui mène au hameau de Roche-Chérie, nous trouvons une chenille d’écaille qui traverse la route. Je l’identifie comme une Ecaille striée (Spiris striata), une petite nouveauté pour moi. Nous trouvons deux autres individus plus loin sur cette route, que nous déposons sur le bas côté pour leur éviter de se faire écraser.

A partir du hameau, comme on s’en doutait, la randonnée se complique. L’année précédente, nous nous étions totalement perdus à partir du point 5, jusqu’au tiers environ de la distance avec le point 6. Nous espérons que ce sera plus simple dans l’autre sens, mais ce n’est pas le cas : même en suivant scrupuleusement notre progression grâce au GPS, ce n’est pas évident. Les chemins sont mal tracés, on se retrouve soudain au carrefour de 3 chemins qui mènent vers 3 ronciers différents, et il faut choisir celui qui nous semble le moins effacé… Nous traversons péniblement plusieurs fourrés de Prunelliers aux épines acérées, et de Ronces mortes (encore plus redoutables que lorsqu’elles sont vivantes !), pour arriver finalement en bas de la petite falaise qui nous avait posé problème la fois précédente. Comme nous n’avions pas trouvé le chemin, nous avions dû l’escalader, ce qui était honnêtement assez périlleux.

Vu d’en bas, ça a l’air plutôt facile, mais vu d’en haut c’est autre chose. Nous devons à nouveau escalader pour retrouver le tracé de la randonnée. Durant l’escalade, je me retrouve nez à nez avec une chenille tachetée sur une Lunetière de Lamotte (Biscutella lima) : c’est une Aurore de Provence (Anthocharis euphenoides). J’avais cherché cette chenille en vain l’an passé, et voilà qu’elle se présente à moi au pire moment ! Tant pis, ce serait trop dangereux de m’arrêter maintenant pour sortir l’appareil photo. Je continue l’escalade prudemment.

Arrivés en haut, nous sommes soulagés d’avoir franchi l’étape la plus difficile. Il est déjà midi et demi, alors nous prenons une pause déjeuner bien méritée près d’une petite source. Martin remarque un petit papillon de nuit posé sur un pâturin. Très mimétique, il porte bien son nom : c’est une Petite feuille morte (Phyllodesma tremulifolia) !

Nous poursuivons ensuite notre chemin en direction des pâturages dans lesquels nous avions observé, l’an passé, de nombreuses chenilles de Franconiennes. Arrivés en haut, nous n’en trouvons pas. Nous marchons plusieurs kilomètres sans nous arrêter, ce n’est pas la partie la plus intéressante de la randonnée. Nous sommes pressés d’arriver dans les prairies où nous avions trouvé de nombreuses chenilles la fois précédente.

Il est 14h30 quand nous arrivons sur la première prairie. Je suis surprise de trouver un très grand nombre de colonies de Laineuse du cerisier (Eriogaster lanestris) : jamais je n’en avais vu autant ! Je n’ai pas compté, mais nous avons dû voir une bonne trentaine de nids au total. Nous faisons plusieurs observations intéressantes.

La plupart des nids sont situés dans des Prunelliers ou des Aubépines de petite taille, et arrivent tout juste au dessus de mes genoux. Je suis surprise de trouver 3 nids situés les uns à côté des autres.

La Laineuse du cerisier n’est pas la seule Laineuse à fréquenter cette prairie : on y trouve aussi sa cousine plus rare et protégée, la Laineuse du prunellier (Eriogaster catax). Comme elle est plus précoce, à cette période de l’année, les chenilles ont déjà quitté le nid et on les rencontre isolément, dispersées dans la végétation basse. Nous en trouvons beaucoup, parfois à côté des nids de Laineuses du cerisier.

Et puis je remarque ces deux nids côte à côte, que j’identifie comme un nid de Laineuse du cerisier (à gauche) et de Laineuse du prunellier (à droite). Pour le premier, c’est plutôt simple, les chenilles sont encore visibles. Pour le second, les chenilles ont quitté le nid, mais des exuvies sont encore présentes.

Comment différencier un nid de Laineuse du cerisier (E. lanestris) d’un nid de Laineuse du prunellier (E. catax), si les chenilles ne sont pas bien visibles ? Il y a plusieurs critères, mais ils ne sont pas tous vérifiables ici…

  • Tout d’abord, le critère phénologique évoqué plus haut.
    •  E. catax se développe un plus tôt : les imagos émergent à l’automne, la ponte hiverne, et les chenilles naissent dès le mois de mars.
    • E. lanestris se développe un peu plus tard : les imagos émergent au printemps, la ponte n’hiverne donc pas, et les chenilles naissent plutôt au mois d’avril.
    • Par conséquent, début mai, les chenilles d’E. catax ont déjà quitté le nid ; celles d’E. lanestris sont en revanche encore bien visibles dans le nid.
  • Ensuite, la ponte. Les femelles Laineuses recouvrent leurs pontes de poils abdominaux. Normalement, la ponte d’E. catax est visible même après l’éclosion, parce que les chenilles s’en éloignent pour tisser leur nid ; en revanche, celles d’E. lanestris ont plutôt tendance à tisser leur toile directement à l’emplacement de la ponte, ce qui la rend difficilement visible.
    Manque de chance, ici c’est l’inverse… Je trouve très rapidement la ponte d’E. lanestris, mais pas celle d’E. catax. On peut néanmoins les reconnaître à leur aspect : la première a des poils plutôt frisotés, un peu désordonnés, de couleur grise ; la seconde a des poils plus longs, plutôt lisses, de couleur brune et grise.
    Du coup, le critère de la visibilité de la ponte ne semble pas valable à tous les coups… Cela dit, d’habitude il fonctionne plutôt bien, parce que je trouve souvent des pontes d’E. catax, mais c’est la première fois que j’en voyais une d’E. lanestris !
  • Enfin, les exuvies. Ce sont les « enveloppes » de peau dont les chenilles se débarrassent après chaque mue. Je ne sais pas si c’est vraiment un critère, parce que je ne l’ai jamais vu écrit nulle part, mais j’ai l’impression qu’il n’y a que les chenilles d’E. catax qui abandonnent leurs exuvies sur le nid. Celles d’E. lanestris ont plutôt tendance à les laisser à l’intérieur. En tout cas, tous les nids d’E. lanestris que j’ai observé jusqu’à présent étaient très propres et dépourvus d’exuvies, alors que ceux d’E. catax en avaient toujours.

Si vous connaissez d’autres critères, ou si ce que je viens d’énoncer vous semble incorrect ou imprécis, n’hésitez pas à me le signaler en commentaire !

Dernière curiosité relative aux Laineuses, je trouve sur le même petit arbuste (Aubépine ou Prunellier je ne sais plus), un nid de Laineuses du cerisier et un « nid » de Gazés (Aporia crataegi). Plus loin, une chenille de Gazé parasitée.

J’adore les chenilles grégaires, alors forcément, je trouve mon bonheur dans cette prairie. En plus des deux espèces de Laineuses et des Gazés, je trouve des Hyponomeutes et des Franconiennes (Malacosoma franconica). Elles sont magnifiques. L’année dernière, c’est précisément pour voir cette espèce que nous nous étions rendus sur ce site.

Près d’un groupe de Franconiennes, je trouve une ponte typique de Livrées (Malacosoma), en forme de bague autour d’une brindille. C’est la seule espèce de Livrée que trouve dans cette prairie, alors j’en déduis que c’est leur ponte.

Dans l’herbe à côté d’un groupe de Franconiennes, je trouve une adorable chenille de Satyrinae. Elle est trop mignonne avec ses rayures, on dirait qu’elle porte un pyjama ! Peut-être la chenille du Silène (Brintesia circe) ?

Dans une Centaurée à proximité, Martin trouve une chenille de Mélitée. Peut-être la Mélitée des centaurées (Melitaea phoebe) – mais ce serait trop facile ! Ou bien une autre espèce proche.
Enfin, en sortant de la prairie, je trouve une grosse chenille arpenteuse. Je l’identifie comme une Crocalle commune, aussi appelée Phalène de la Mancienne (Crocallis elinguaria). Une chenille que j’avais déjà croisée et tenté d’élever l’année dernière, mais qui était parasitée ! Celle-là, je la laisse sur place.

Nous traversons encore quelques prairies à la recherche de la Brune du pissenlit (Lemonia dumi), mais les Pissenlits sont un peu défraichis et difficiles à repérer. Chaque fois que je repère une grosse chenille sombre, déception : ce n’est qu’une Laineuse du prunellier. J’en viens presque à me lasser de cette espèce si commune ici, mais si rare ailleurs !

Un peu fatigués, et comme nous avons encore 3 heures de route à faire avant de rentrer à la maison, nous finissons par abandonner et reprenons le chemin de la randonnée. Nous faisons tout de même un petit arrêt en chemin pour photographier les chenilles de l’Aurore de Provence (Anthocharis euphenoides), sur une station très fournie en Biscutelles.

Bilan de cette randonnée : nous n’avons pas retrouvé la Brune du pissenlit, ni l’Ecaille tesselée, mais j’ai pu observer de nouvelles espèces tout de même, comme la Diane, l’Ecaille striée, l’Aurore de Provence et la Petite feuille morte. Nous rentrons à la maison chargés de belles images : des photos de nouvelles chenilles pour moi, et de nouvelles plantes pour Martin. C’est la dernière fois que nous faisons cette randonnée, mais nous retournerons peut-être sur ce secteur plus tard. L’Ardèche est une région magnifique que j’aimerais avoir l’occasion d’explorer davantage !

Des processionnaires dans mon salon

Il y a quelques jours, en traversant la campagne Bressane, nous avons aperçu au bord de la route une plantation d’arbres et arbustes ornementaux. Parmi eux, des pins de petit et moyen gabarit, dont certains portaient au sommet de leurs branches des cocons ronds de soie blanchâtre. Il s’agissait de « nids » de chenilles Processionnaires du pin. 

La Processionnaire du pin est une espèce bien présente dans ma région, mais je n’ai pas souvent l’occasion de tomber sur des nids occupés. Et surtout, la plupart du temps, ces nids sont inaccessibles : soit parce qu’ils sont trop hauts sur l’arbre, soit parce qu’ils se trouvent dans un jardin clos. Jusqu’ici, je n’avais donc jamais eu l’occasion d’observer de près des chenilles processionnaires. Mais là, les pins au bord de la route étaient tout à fait à portée de mon petit mètre-cinquante-sept : l’occasion était trop belle ! 

Au retour, nous nous sommes donc arrêtés au bord de la route pour aller observer les chenilles. Il n’y avait que deux ou trois nids au bord de la route, et un seul finalement était assez bas pour que Martin puisse abaisser la branche à mon niveau. 

Dans un premier temps, je déambulais timidement sur ce terrain que je savais privé (même si non clôturé), mon appareil photo à la main, à la recherche d’un nid plus bas. Cela ne devait faire que quelques minutes que nous étions là, quand une voiture se gara sur le bas côté, en face de la nôtre. Un homme sortit et s’approcha de nous : c’était, bien sûr, le sylviculteur exploitant de cette parcelle, qui voulait savoir ce que nous faisions ici. Sa réaction était bien légitime : à quelques semaines des fêtes, nous étions bien suspects à nous balader dans une plantation de résineux, dont certains étaient peut-être destinés à finir en sapins de Noël. 

J’allais à sa rencontre et lui expliquais l’objet de ma présence ici : nous avions vu des nids de processionnaires dans ses pins, nous voulions profiter de leur accessibilité pour les prendre en photo. Il sembla amusé et nous donna son accord pour nous approcher et les observer. On pouvait même, si on le souhaitait, couper une branche pour observer le nid de tout près, car il avait de toutes façons prévu de retirer et brûler les nids prochainement. Voyant que nous hésitions, de peur d’abîmer le pin, il arracha lui-même une branche portant un nid, qu’il nous donna : nous pouvions en faire ce que nous voulions, du moment qu’on ne la remettait pas dans le pin. Et nous sommes repartis chacun de notre côté, nous avec un nid et lui avec une drôle d’anecdote à raconter.

J’étais trop contente, avec mon nid dans les mains, mais aussi un peu inquiète. Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir en faire maintenant ? Je connais bien sûr la réputation des chenilles processionnaires et leur potentiel urticant. Il faudrait être inconscient pour ramener ce nid à la maison et l’installer au milieu du salon, comme un petit sapin de Noël !

Mais alors, quelles autres options s’offraient à moi ? Trouver un pin à côté de chez moi, pour y installer le nid ? Trop risqué, quelqu’un pourrait le trouver et le détruire… Installer les chenilles dans ma cour, sur un petit pin d’ornement ? Pas assez discret, les voisins le remarqueraient et je ne voudrais pas qu’on me fasse de remarques. Les installer à l’étage de la remise, dans une grande cage d’élevage ? Je n’en ai plus, elles sont déjà toutes occupées par les cinquante Bombyx de la ronce qui passent l’hiver dans notre remise ! Alors tant pis, pas question de passer à côté d’une occasion pareille : j’ai ramené le nid à la maison, et je l’ai installé au milieu du salon. 

Petit point important avant de vous raconter la suite : il ne faut pas prendre à la légère les capacités urticantes des chenilles processionnaires. Si je me suis permise de prendre le risque, c’est pour plusieurs raisons : 

  • C’est surtout au dernier stade de développement que les chenilles Processionnaires du pin sont réellement urticantes. Les chenilles présentes dans mon nid sont encore jeunes et à peu près inoffensives. Il sera toujours temps d’aviser si des effets indésirables se font ressentir au dernier stade.
  • Ma peau n’est pas particulièrement sensible aux soies des chenilles : j’ai manipulé au cours des dernières années pas mal d’espèces de chenilles « poilues », y compris réputées urticantes, et aucune ne m’a causé de réactions cutanées significatives. Il avait fallu que je roule (gentiment) une chenille de Bombyx cul-brun sur le pli de mon coude, zone sensible, pour déclencher quelques rougeurs et picotement qui se sont dissipés en un quart d’heure. 
  • Le rythme de vie des chenilles et leur caractère très casanier rend la cohabitation facile. Concrètement, les chenilles sont invisibles le jour et ne sortent qu’à la tombée de la nuit pour se nourrir des aiguilles de pins présentes sur les branches les plus proches du nid. Elles ne quittent jamais l’arbre (dans mon cas, la branche) avant la procession finale, et restent toujours groupées. Mais je détaillerai tout ça plus bas !
  • Cette expérience va me permettre d’étudier leur comportement et de préparer une page très complète sur la Processionnaire du pin, avec plein de photos personnelles. 
  • Et pour finir, le risque fait partie de l’intérêt de l’expérience ! Jean-Henri Fabre, dans ses Souvenirs entomologiques (extrait ici), raconte comment il a élevé des Processionnaires du pin, et détaille les désagréments liés au contact des poils urticants des chenilles, qu’il a lui-même expérimentés. Et plus récemment, André Lequet dans ses pages entomologiques a réalisé un suivi d’élevage très intéressant (lien ici), en prenant le risque de faire monter des chenilles sur sa main, ou de s’approche de très près du nid pour les photographier… Alors moi aussi, je veux tenter l’expérience.

Place à présent aux photos, et au récit de cet élevage improvisé !


Mardi 16 novembre. En rentrant à la maison, j’examine minutieusement le nid. Vu de l’extérieur, on ne devinerait pas la présence des chenilles. Je me demande même si elles sont bien vivantes. Je laisse la branche au sol, encore dans son sac poubelle, en me disant que je verrai bien le lendemain ce que je vais en faire. 

Mercredi 17 novembre. Au réveil, surprise : il y a plein de petites déjections au pied de la branche, et les aiguilles ont été grignotées. Quelques chenilles sont encore visibles mais la majorité est rentrée à l’abri au petit matin.

Je décide d’installer le nid dans un grand vase, avec un peu d’eau au fond pour maintenir la branche en bon état, et j’observe timidement les chenilles. A ce stade je n’ose pas trop les approcher, ne sachant pas trop à quoi m’attendre, et je me contente de les observer de pas-trop-près. 
Le soir, au retour d’une randonnée, les chenilles sont de sortie. Et elles sont beaucoup plus nombreuses que ce que je pensais !

Je constate qu’elles sont très sensibles au dérangement : elles réagissent à la voix et à la lumière, et filent vite se cacher dans le nid lorsqu’elles se sentent en danger. Et tout cela est bien organisé : elles se déplacent les unes dernière les autres, en procession, par mouvements saccadés. Elles parviennent aisément à se faufiler entre les couches de leur nid de soie pour en rejoindre le cœur. Pour un prédateur, cette structure est difficilement pénétrable : la soie est tissée de manière très dense, en nombreuses couches formant un matériau épais. 

Lundi 22 novembre. Cela fait près d’une semaine que nous cohabitons avec les chenilles, et jusqu’ici, aucun désagrément ne s’est manifesté. J’ai remarqué que les chenilles attendent toujours que nous soyons couchés pour sortir : si nous traînons un peu tard dans le salon, même sans éclairage important, nos voix suffisent sans doute à les dissuader de sortir. Si nous sommes à l’extérieur en revanche, et que nous rentrons après la tombée de la nuit, alors nous les surprenons en pleine activité, et elles se dépêchent de rentrer dans le nid en percevant notre présence. 
Ce lundi matin, le soleil s’est levé, et quelques dernières chenilles sont encore actives hors du nid. Je profite de l’occasion pour installer le nid dehors, le temps de faire quelques photos à la lumière du jour – comme vous pouvez le voir, les photos au flash du dessus ne sont pas terribles !

En voulant tourner la branche pour changer l’angle de prise de vue, je pose accidentellement mon doigt tout contre une chenille. Maladresse de ma part ! Je crains déjà le pire. J’ai touché une chenille processionnaire, que va-t-il se passer ? Je m’éloigne du nid, inquiète, observant ma main en attendant une réaction…
Et il ne se passe rien. Rien du tout, pas la moindre rougeur. Je me dis que j’ai sans doute eu de la chance, et je rends aux chenilles leur tranquillité. 

Le soir, on part à Bouvesse chercher de nouvelles branches de pin, parce que celle portant le nid est bien dégarnie. Les chenilles sont de sortie à notre retour. Confortée par mon expérience du matin, je tente de faire monter une chenille sur ma main. Ce n’est pas chose facile (j’expliquerai pourquoi plus bas), alors je finis par détacher une aiguille de pin sèche sur laquelle se trouve une chenille, et la déposer sur ma main. D’abord hésitante, la chenille finit par se balader dans ma main et remonter sur mon bras. J’avoue que je ne suis pas tout à fait sereine : j’ai une chenille processionnaire sur la main, quand même !

Mais une fois de plus il ne se passe rien. Probablement parce que c’est une jeune chenille, pas encore très urticante. 

Vendredi 26 novembre. Depuis plusieurs jours, une amie est de passage à la maison, et dort dans le salon, à quelques mètres des chenilles. Après deux soirées passées à se coucher très tard, nous avons la confirmation que les chenilles perçoivent notre présence et ne sortent pas si nous sommes là. Ce vendredi soir, nous retournons à Bouvesse avec notre amie pour observer les Phalènes et Hibernies qui volent en ce moment. Nous rentrons après minuit, et les chenilles sont sorties.

Elles ont une façon particulière de se nourrir : elles se regroupent toutes au sommet de la même branche, et grignotent à deux ou trois la même aiguille. 

Dimanche 28 novembre. Les chenilles grandissent. Nous les surprenons en plein repas en rentrant tard : c’est la première fois qu’elles sont si nombreuses, je suppose que la famille est au complet ! Elles se sont réparties par groupes sur les différentes branchettes de pin. Certaines ne sont pas dérangées par ma présence et continuent de manger, d’autres rentrent vite se mettre à l’abri. Constatant qu’elles se suivent presque toujours de très près, et qu’au cours de chaque déplacement elles laissent derrière elles un fil de soie sur la branche, je suppose que la soie leur sert de « fil conducteur » pour connaître le chemin à emprunter pour se nourrir, puis celui à emprunter pour retourner au nid. J’avoue que je n’ai pas encore trop fait de recherches à ce sujet, mais un phénomène similaire a été démontré chez les Laineuses, alors ça ne m’étonnerait vraiment pas ! Me vient alors l’idée d’une petite expérience : au moment où une chenille redescend de sa branche vers le nid, en suivant donc un fil de soie, je pince la branche juste devant elle, la forçant à passer par dessus mon doigt pour retrouver le chemin du nid. Et sans surprise, la chenille est perdue : elle fait demi tour, revient jusqu’à mon doigt, commence à monter dessus puis se ravise, en gardant toujours la dernière paire de fausses pattes en contact avec la branche. Je ne sais pas exactement si le phénomène observé répond vraiment à mes hypothèses, mais je suppose que ces fils de soie ont une grande importance pour l’orientation de la chenille, et qu’elle est « perdue » si elle perd cette piste. Il doit aussi y avoir des phéromones qui entrent en jeu. Enfin, je suis sûre que ce phénomène a déjà été étudié, alors je vais me renseigner !

Mardi 30 novembre. Rien de très intéressant à rapporter, si ce n’est que j’ai constaté que certaines chenilles s’obstinaient à retourner s’alimenter sur des branches qui ont déjà été quasi-totalement consommées, alors qu’il y a des branches fraiches juste à côté. Elles se nourrissent alors de la base des aiguilles, délaissée par les chenilles passées plus tôt. Résultat logique, leurs déjections sont plus sombres que celles des chenilles se nourrissant d’aiguilles fraiches. Cela s’observe facilement, parce que j’ai disposé mon « vase d’élevage » au sol, et que les déjections tombent sur le carrelage blanc juste en dessous de l’endroit où les chenilles s’alimentent. En photo, le résultat d’une nuit de grignotage !

 

Concernant les hypothèses formulées dimanche soir : je me suis renseignée, et ce n’est pas tout à fait ça. Ce n’est pas tant les fils de soie tissés par les chenilles qui important pour l’orientation des individus, mais plutôt les phéromones qu’elles déposent sur les branches. J’en parlerai sans doute plus en détail dans l’article dédié à la Processionnaire du pin (il me manque encore de belles photos pour m’y mettre !), et ce sera l’occasion de faire d’autres recherches sur cette espèce, forcément très étudiée pour son impact sur la santé humaine. Mais si le sujet vous intéresse, le résumé de cette étude explique l’essentiel. 

Vendredi 3 décembre. Ce matin, aucune déjection nouvelle au pied du nid. Hier soir, j’ai retiré les vieilles branches grignotées pour les échanger avec de nouvelles, plus fraiches. J’ai dû un peu les perturber, en remuant le nid… C’est peut-être pour ça qu’elles ne sont pas sorties ? 

Samedi 4 décembre. Seulement quelques déjections sous le nid, issues de vieilles aiguilles toute desséchées. Elles ne semblent pas s’intéresser aux branches fraiches ! 

Lundi 6 décembre. Il y a du nouveau ce matin. Hier soir nous avons dû déplacer le vase qui contient le nid, pour installer à son emplacement nos 4 cailles en convalescence. Elles vivent habituellement dans une grande volière dans la cour, mais depuis peu elles ont toutes développé des soucis de santé, alors nous les avons rentrées au chaud pour l’hiver, et certaines ayant le privilège d’être en liberté dans le salon, il valait mieux les tenir à bonne distance des chenilles. Hier soir donc, Martin avait placé le nid sur la table de la cuisine, à environ 5 ou 6 mètres de son ancien emplacement. 
Ce matin, une dizaine de chenilles se nourrissait encore au moment où je suis descendue. J’ai pu constater qu’elles avaient grandi, et donc mué, depuis la dernière fois : c’est peut-être pour ça qu’elles étaient moins actives ? Elles possèdent à présent une tête plus volumineuse et des soies latérales d’un gris plus vif. J’ai l’impression aussi que leur pilosité est plus dense. Jusqu’ici rien d’anormal, jusqu’à ce que je remarque, vers 10 heures, que quelque chose gigotait sous la chaise du bureau, juste à côté des cailles : une chenille ! Mais que faisait-elle là ? Désorientée, elle se dressait vers le haut, cherchant sans doute à retrouver le chemin de son nid. Elle accepta de monter sur mon index droit, que je lui présentais avec méfiance – elles ont mué, alors leur potentiel urticant est sans doute plus important que précédemment. Je me levais pour aller la remettre près de son nid, quand j’ai remarqué la présence d’une seconde chenille, juste à côté de l’ancien emplacement du vase. Elle aussi désorientée, elle accepta sans rechigner de monter sur mon index gauche. Une processionnaire dans chaque main, j’avoue que je ne faisais pas trop la maline : je me suis dépêchée de les remettre sur leur nid. Pendant un moment, je n’osais plus rien toucher, et je gardais mes mains éloignées du reste de mon corps au cas où. Mais une fois de plus, aucune réaction ne se manifesta. 

Les deux chenilles se sont vites regroupées, formant une procession à deux. Elles ont fait quelques allers-retours entre le nid et le sommet de la branche au-dessus, avant de se décider à rentrer. J’en ai profité pour faire quelques photos : c’est toujours aussi difficile de les avoir nettes, comme elles bougent tout le temps !

Il faut que je mette en place un système pour éviter que ce genre d’incident se reproduise. Je suppose que ces deux chenilles étaient tombées du nid (comment, pourquoi ?) depuis la veille, et étaient passées inaperçues. Je vais installer une caisse en plastique sous le vase.

Mardi 21 décembre. Je n’ai pas mis à jour cet article depuis un petit moment, mais en même temps il n’y avait pas grand chose à raconter ! Les chenilles vont bien et vivent toujours dans notre salon, sans désagrément particulier à signaler.

J’ai installé leur nid sur le bord de la fenêtre, dans une grande caisse en plastique pour éviter que celles qui tombent du nid (ça arrive régulièrement) se baladent trop dans la maison. Le système fonctionne très bien, car les chenilles ont du mal à remonter les parois en plastique verticales.

C’est toujours aussi passionnant de les observer. Leurs habitudes restent inchangées : elles sortent la nuit pour se nourrir, et retournent le matin se cacher dans leur nid.
Je me demande quand aura lieu la procession. Comme la température du salon est plus élevée que la température extérieure (environ 19°C, peut-être un peu moins sur le bord de la fenêtre), la procession aura sans doute lieu beaucoup plus tôt que dans le milieu  naturel. Je pense que j’installerai de la terre au fond de la caisse en plastique, pour qu’elles puissent s’enterrer : l’essentiel, c’est qu’elles ne processionnent pas dans notre salon ! 

Jeudi 6 janvier 2022. Les chenilles ont passé de bonnes fêtes de fin d’année, et j’espère que vous aussi. Encore une fois je n’ai pas trop documenté l’avancée de cet élevage, parce qu’il n’y avait pas grand chose à raconter. Elles ont continué leur développement sans encombre, et ont atteint une belle taille. Leur « nid » ou « cocon » ne ressemble plus à grand chose : troué de toutes parts, son dessous s’est percé et déborde sous le poids et la masse des déjections des chenilles. 
Aujourd’hui, elles sont toutes descendues le long de la branche qui porte leur nid, et se sont retrouvées coincées dans le bocal. Ce n’est pas la première fois que ça arrive : en général, elles se retrouvent là parce qu’elles cherchent à manger, et finissent par retrouver le bon chemin (soit vers le nid, soit vers les branches fraiches mises à leur disposition). Mais là, comme elles font déjà une belle taille, je me demande si elles ne cherchent pas à se nymphoser ? Je n’interviens pas pour le moment, j’aviserai demain si elles sont toujours là. 

Samedi 8 janvier 2022. Je suis intervenue ce matin. Depuis jeudi elles n’avaient pas bougé, et ce matin elles formaient toujours une grosse masse au fond du bocal. Je dois reconnaître que mon système d’élevage n’est vraiment pas optimisé ! 
Il fallait donc agir, et on ne savait pas trop, Martin et moi, si les chenilles voulaient se nymphoser ou si elles étaient juste coincées. La présence d’une toile de soie tissée par les chenilles au fond du bocal, comme un nid de fortune, faisait pencher la balance en faveur de cette seconde hypothèse. Je suis allée chercher dans la remise la grande cage d’élevage en bois dans laquelle j’avais tenté de faire hiverner des chenilles de Bombyx de la ronce (sans surprise, ce fut un échec…). J’ai transféré toutes les chenilles du bocal dans une bassine le temps d’aménager tout ça. Martin a mis de la terre au fond de la nouvelle cage d’élevage, et j’y ai disposé le nid, vide (puisque toutes les chenilles étaient au fond du bocal), ainsi que des branches de pin, de façon à ce que les chenilles puissent aller et venir du nid à la terre sans se retrouver coincées. Puis j’ai disposé la moitié des chenilles sur le nid, et l’autre moitié sur la terre. 
Verdict : elles étaient simplement coincées, ce n’est pas encore le moment de la nymphose. Toutes les chenilles posées sur le nid y sont entrées immédiatement. Celles posées sur la terre sont perdues, cherchent à rejoindre le nid et n’y parviennent pas, sans doute parce qu’il n’y a pas de « chemins » de phéromones permettant de les y guider, puisque j’ai chamboulé tout leur environnement. Elles grimpent, seules, le long des parois, ou bien forment des processions miniatures de deux ou trois individus. Un individu semble s’être enterré ? 
Je vais les aider en remettant les chenilles égarées sur le nid avec une cuillère à soupe (ça fonctionne très bien). Au passage, je remarque que je n’ai toujours pas développé la moindre réaction au contact des chenilles, alors que je n’ai pas pris de précautions particulières ce matin. On peut même dire que je n’y suis pas allée de main morte : j’ai déchiré leur « nid secondaire » qui se trouvait au fond du bocal, pour les extraire à la cuillère, alors je les ai fortement dérangées. Elles ne m’ont pas « projeté » de poils urticants comme je l’ai déjà lu sur certains sites douteux. Mais je ne tirerai pas de conclusion hâtive avant d’avoir terminé cet élevage.

Affaire à suivre, je mettrai cet article à jour régulièrement.

À la recherche du Sphinx chauve-souris et de l’Écaille du séneçon

Il y a quelques jours, je recherchais une photo parmi mes clichés de l’année dernière, et je suis tombée sur les photos d’une chenille que je n’avais pas réussi à identifier à l’époque. C’était le 4 juillet 2020 : nous avions invité une amie à la maison pour quelques jours, et pendant que j’étais au travail, mon compagnon l’avait emmenée faire un peu de botanique au bord d’une ancienne carrière. Le soir, elle avait ramené plusieurs plantes pour les mettre sous presse. De son bouquet de plantes était tombée une petite chenille, qu’elle m’avait donnée, et j’avais tenté de la nourrir avec diverses plantes, en vain. À ce moment là, j’avais vaguement cherché à l’identifier, sans parvenir à trouver une correspondance avec une espèce précise. La chenille refusant de se nourrir, je crois que j’avais fini par la relâcher…

Il y a quelques jours donc, je suis retombée sur cette photo. Et là, un détail m’a immédiatement frappée : la dernière paire de fausses-pattes de ma chenille, elle est énorme ! Et ça, c’est une caractéristique que l’on retrouve chez certaines chenilles de Bombycoïdes, notamment les Sphingidés et les Saturniidés… Bon, ma chenille ne peut pas être une chenille de Saturniidé : il n’y a que très peu d’espèces en France, et je les connais toutes. En revanche, les Sphinx, j’avoue que je ne m’y suis jamais intéressée en détails…
L’année dernière, je n’aurais jamais pensé à chercher chez les Sphingidés, parce que cette chenille ne possède pas de scolus. Mais après tout, la chenille du Sphinx de l’épilobe (Proserpinus proserpina) non plus n’en possède pas, alors…

J’ai consulté la galerie des Sphingidés de Lépinet, à la recherche des chenilles de sphinx qui n’ont pas de scolus. Il y en avait deux : le Sphinx de l’épilobe cité plus haut, et le Sphinx chauve-souris (Hyles vespertilio). J’ai rapidement éliminé le premier, les motifs ne correspondant pas, puis j’ai fait quelques recherches sur le second, sur le site de Jean Haxaire (ici). Les photos de chenilles en L4 correspondaient tout à fait. J’ai vérifié que mon département était bien compris dans l’aire de répartition de l’espèce, assez localisée en France : oui, c’était le cas. J’ai vérifié également que le biotope correspondait bien ; Artemisiae indique que le papillon s’observe en région accidentée, carrières, de moyenne ou haute montagne jusqu’à 2000 m (lien ici), et c’était tout à fait ça. J’étais partagée entre joie et tristesse : c’était une nouvelle espèce pour moi, mais… si j’avais été capable de l’identifier l’année précédente, j’aurais au moins pu la relâcher sur la bonne plante ! Ma pauvre chenille est sans aucun doute morte de faim, les épilobes ne poussant pas à côté de chez moi…

J’ai donc décidé de partir à la recherche de cette chenille, pour la trouver par moi-même et la photographier dans son milieu naturel. Ma photo datant du 4 juillet 2020, il s’était écoulé un an presque jour pour jour depuis sa découverte et son kidnapping accidentel. Pour la trouver, j’ai décidé d’aller explorer le site archéologique de Larina, à Hières-sur-Amby.


Lundi 5 juillet 2021. Il est environ 7h00 quand je quitte la maison en direction du site archéologique. J’ai plusieurs objectifs aujourd’hui : tout d’abord, trouver les chenilles d’Hyles vespertilio. Pas question de les récolter pour les élever cependant, l’endroit où je me rends étant un ENS (Espace Naturel Sensible) – par ailleurs, n’ayant pas d’épilobes à côté de la maison, je serais bien embêtée de devoir faire chaque jour des kilomètres pour les nourrir. Second objectif : trouver des chenilles d’Écaille du séneçon (Tyria jacobaeae). Eh oui, cette espèce super commune, je n’ai encore jamais réussi à l’observer ! Ce n’est pourtant pas faute, les années précédentes, d’avoir ausculté des centaines de pieds de Séneçons de Jacob… Troisième objectif, plus anecdotique : trouver quelques chenilles de Sphinx de l’euphorbe (Hyles euphorbiae) pour les photographier sur leur plante-hôte. J’ai déjà quelques photos de cette espèce, mais je voudrais en trouver d’autres à différents stades de développement ou avec des coloris un peu différents.
Je me fixe comme objectif de trouver au moins 2 de ces 3 espèces avant de rentrer à la maison.

Tout en conduisant vers le site, mon regard cherche au bord de la route et dans les prairies des pieds de Séneçon. De loin, on peut facilement les confondre avec les pieds de Millepertuis perfolié (Hypericum perforatum), qui font à peu près la même taille et dont les fleurs ont une teinte similaire. Un peu avant le site, je repère au bord d’un étang une dizaine de plants : il faudra que je m’y arrête au retour.

Il est 7h30 quand j’arrive sur le site. Je trouve rapidement quelques Séneçons dispersés au bord du chemin. Je les inspecte de haut en bas : pas la moindre trace de chenilles. Une petite zone au pied d’un front de taille abrite de nombreux pieds d’Épilobe à feuilles de romarin (Epilobium dodonaei), la principale plante-hôte de mon Sphinx. Tout autour, sur le feuillage des Knauties, des Demi-deuils (Melanargia galathea) et des Gazés (Aporia crataegi) somnolent encore. Un Moro-sphinx (Macroglossum stellatarum) n’a pas attendu les rayons du soleil pour s’activer, et butine frénétiquement. Je regarde rapidement le feuillage de quelques épilobes, puis pars à la recherche de séneçons, en me disant que je verrai sans doute d’autres épilobes plus loin.

J’examine un séneçon, puis deux, puis dix. Puis cinquante, peut-être. Le verdict est toujours le même : j’y trouve des papillons, des araignées et de petits coléoptères sympathiques, mais point de chenilles. J’assiste finalement à une scène intéressante : l’émergence d’une Zygène.

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Une heure passe, l’église sonne 8h30. Au même instant, je repère un petit groupe de séneçons en amont d’une petite colline : ça y est, je le sens, elles sont là ! Je m’approche, et…

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Déception, il n’y a rien. Tout en marchant de séneçon en séneçon, je vérifie au sol qu’il n’y a pas de chenilles dans les euphorbes. Quelques jours plus tôt, j’ai trouvé non loin d’ici une dizaine de chenilles de Sphinx de l’euphorbe. Mais aujourd’hui, je ne trouve rien.

9h. Je parcours quelques prairies, toujours à la recherche de séneçons. Ce ne sont pas les fleurs jaunes qui manquent : il y a tout plein de millepertuis, mais aussi des Orpins des rochers (Sedum rupestre), des Molènes (Verbascum), et diverses « Astéracées liguliflores » dont la détermination est bien trop complexe pour moi. Même les euphorbes se parent de jaune. Je commence à désespérer.

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9h15. Je n’ai toujours pas vu l’ombre d’une chenille.

9h30. L’Écaille du séneçon n’existe pas, c’est un complot mondial pour me faire tourner en rond.

10h. Après avoir examiné quelques 200 séneçons, je décide de prendre une petite pause et de m’enfoncer un peu dans un chemin plus forestier. Je passe près du front de taille d’une ancienne carrière : je m’assois un instant près d’une épilobe, j’examine son feuillage, mais ne trouve rien d’intéressant.

10h30. J’arrive à un petit bassin d’eau dans la pierre où des larves de salamandre grandissent. Quelque chose remue dans l’eau. Quelle surprise, c’est une chenille de Bombyx du chêne (Lasiocampa quercus), une autre de mes bêtes maudites !

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Je sors la pauvre chenille de l’eau, elle est encore bien vive (bien sûr, je sors aussi de l’eau la petite sauterelle qui se noie à ses côtés). Un mètre plus loin, une autre chenille gît dans l’eau, immobile : un Sphinx du tilleul (Mimas tiliae) en bien moins bon état.

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Son corps est couvert de taches noires (blessures causées par des parasitoïdes ?), et ses fausses-pattes sont couvertes d’œufs de Tachinaires.

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Son corps est dur, elle ne réagit pas. Je décide de la prendre avec moi ; de toutes façons, elle est fichue.
Je me demande bien comment elle a pu arriver là ! Elle n’était visiblement pas en pré-nymphose, donc n’avait aucune raison de quitter son arbre… Impossible qu’elle soit tombée de son arbre directement dans l’eau, puisqu’il n’y a aucun arbre directement au dessus de l’eau, qui se trouve sous un gros rocher. Mystère.

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11h. Je suis retournée vers l’entrée du site, là où il y avait des épilobes. Puisque ma recherche dans les séneçons s’avère infructueuse, je vais plutôt chercher des chenilles de Sphinx. Je m’assois juste à côté d’une touffe d’épilobes poussant dans une petite pente de cailloux. Au même moment, une toute petite chenille verte tombe sur mon pantalon. « Encore une noctuelle verte impossible à identifier », me dis-je… Je la prends tout de même en photo. Puis je zoome sur la photo, et constate que sa dernière paire de fausses-pattes est bien développée. Et que son corps est finement ponctué de petites granulosités… C’est une chenille de Sphinx !

Bon d’accord c’est quasiment trois fois la même photo, je n’arrivais pas à me décider. Mais elle le mérite bien, cette petite chenille, non ?

Maintenant, reste à savoir si c’est un Sphinx chauve-souris, ou un Sphinx de l’épilobe… Si je compare les photos présentes sur le site de Jean Haxaire, ainsi que celles de Lepiforum, c’est la seconde espèce qui correspond le mieux. Il faudra que je fasse confirmer cette identification, mais je suis à peu près sûre de moi.

Après avoir pris quelques photos de la chenille, remise en sécurité sur sa plante-hôte, je passe une bonne demi-heure à examiner d’autres épilobes. Je ne trouve rien, à part de jeunes sauterelles de couleur verte. Il est difficile de repérer, sur cette plante aux feuilles étroites, des traces de présence (feuilles grignotées notamment).
Je finis par trouver une petite chenille brune dans une épilobe. Je pense avoir reconnu la chenille du Mi (Euclidia mi). Une nouveauté pour moi ! Elle est véritablement minuscule cela dit, ces photos sont prises au maximum des capacités de mon 90mm.

Un peu avant midi, il faut que je quitte le site : je travaille l’après-midi… Sur le retour, je m’arrête près de l’étang où j’avais vu plusieurs pieds de séneçons. Bien évidemment, je ne trouve aucune chenille.

Bilan de la journée : pas terrible. Je n’ai vu aucune des 3 espèces que je souhaitais voir aujourd’hui. Mais j’ai sauvé un Bombyx du chêne de la noyade, et j’ai observé 2 nouvelles espèces. C’est pas trop mal.

Je n’ai pas dit mon dernier mot. Sphinx chauve-souris, Écaille du séneçon, je vous trouverai ! Affaire à suivre…


Mercredi 7 juillet 2021. Je n’ai pas pu sortir hier, il a plu toute la journée. Aujourd’hui, ils annoncent encore de la pluie autour de chez moi. J’ai deux possibilités : rester à la maison en attendant que ça se calme, puis éventuellement sortir à la recherche de mes chenilles… ou bien, suivre mon compagnon en Haute-Savoie, où il doit effectuer des relevés sur des sites naturels dans le cadre de son travail de botaniste. « Tu crois qu’il pourra y avoir des séneçons, là-bas ? » – « Très certainement », me répond-il. Dans ce cas, c’est parti !

J’aime bien suivre Martin au travail. En général, je ne fais pas grand chose : je le regarde travailler, et je cherche des chenilles. Parfois, quand je peux, je l’aide un peu. Aujourd’hui il doit se rendre sur plusieurs sites différents, alors ça me laissera plus de chance de trouver mon écaille tant convoitée. 

En approchant du premier site, nous traversons des routes bordées de séneçons. Super, il y en aura forcément sur le premier site ! Une fois arrivés sur place, je me dirige tout de suite vers les grandes touffes de fleurs jaunes que j’aperçois au loin. Mon enthousiasme décroît à mesure que je m’approche : ce ne sont pas des séneçons, mais des millepertuis. De loin, le doute était permis… J’arpente un peu le site le temps que monsieur fasse son travail : il n’y a pas de séneçons, mais je trouverai peut-être autre chose d’intéressant ? Finalement je ne trouve rien, et c’est déjà l’heure de partir vers un autre site. 

Sur le chemin vers le second site, plein de jolis séneçons me narguent dans des pâtures. Bien évidemment nous sommes en voiture, et comme Martin est sur son temps de travail, ce n’est pas possible de nous arrêter… Mais j’ai bon espoir de trouver des séneçons sur le second site ! 
Nous arrivons sur place. Pas l’ombre d’une ligule de séneçon. La matinée débute à peine et je commence déjà à perdre espoir. Rien d’intéressant pour moi sur ce second site. Direction le troisième site. 

Il s’annonce déjà plus intéressant : une lisière forestière au bord d’une pâture, avec quelques papillons, ça me plaît bien. Bon, il n’y a pas de séneçons, mais quelques jeunes peupliers m’inspirent bien : je verrais bien des chenilles de Cerura là-dedans. Pour l’anecdote, ça fait 2 années de suite que j’élève des chenilles de Grande queue fourchue (Cerura vinula) et à chaque fois je rate le moment de la pré-nymphose : soit ça tombe quand je ne suis pas là, soit le matin au moment de partir au travail, soit (le plus frustrant) quand je suis là mais que mon objectif d’appareil photo est parti en réparation. Bilan : je n’ai aucune photo de Cerura vinula en pré-nymphose alors qu’il m’en faudrait pour faire une fiche sur cette espèce. Chez moi, c’est un peu trop tard pour en trouver, elles ont déjà toutes terminé leur développement. Mais ici, comme on est un peu plus au nord, et légèrement en altitude, pourquoi pas…

J’examine un petit Peuplier noir. Et là, surprise !

Une petite chenille de Cerura vinula sur le point de muer. Je m’attendais à trouver une grosse chenille proche de la nymphose, pas un petit machin comme ça ! Mais ce n’est pas grave, je la récupère quand même.
Un peu plus loin je trouve aussi une petite chenille verte que j’identifie comme une Bordure entrecoupée (Lomaspilis marginata). Puis, dans un saule, une chenille que je n’avais encore jamais trouvée : la bien nommée Recluse (Clostera pigra). Cette curieuse chenille se cachait entre 2 feuilles qu’elle avait reliées entre elles par quelques fils de soie. Elle appartient à la famille des Notodontidés, comme la Grande queue fourchue. 

Je continue à explorer les jeunes Peupliers pendant que Martin travaille. Je trouve un jeune Tremble un peu plus grand que moi : j’attrape une branche un peu haute pour l’abaisser à mon niveau, et… crac ! Le tronc du Tremble casse. Mince alors, je n’ai pourtant pas été si violente… Je regarde le tronc et comprends rapidement la raison de sa fragilité : une larve a creusé une galerie au milieu de l’arbre. J’espère très fort qu’il s’agit d’une Zeuzère ou d’un jeune Cossus, pour en prendre de belles photos ! Mais non, c’est cette larve toute blanche qui sort. S’agit-il vraiment d’une chenille ? On dirait bien qu’elle a des fausses-pattes… Peut-être une chenille de Sésie ? 

Nous quittons ce très chouette site et nous dirigeons vers un autre un peu moins intéressant. Quelques séneçons très dispersés, bien sûr sans chenilles. Les deux sites suivant sont sensiblement identiques, et la journée s’achève sur cette déception. Nous rentrons.


Vendredi 9 juillet. J’ai ma matinée de libre avant de partir au travail. Je prévois de la consacrer à la recherche de l’Écaille du séneçon, puis de retourner à Larina le lendemain pour chercher le Sphinx chauve-souris. Aujourd’hui donc, direction l’Espace Naturel Sensible de la Save, près de Morestel (38) !

Je longe les sentiers bordés de quelques séneçons, mais je constate qu’ils commencent tous à faner… Et surtout, qu’ils ne portent pas la moindre chenille. Arriverais-je trop tard ? Au pied d’un séneçon, je trouve quelques jeunes chenilles de Mélitée du plantain
Après une petite heure de marche tranquille, je traverse une pâture sous le regarde indifférent de quelques vaches. Au sol, les euphorbes qu’elles dédaignent croissent à foison (on dirait un petit champ d’euphorbes !), et je m’attends à y trouver quelques Sphinx de l’euphorbe… Mais non, rien. Dans l’abreuvoir des vaches, je fais cette triste découverte.

Une chenille de Sphinx est tombée à l’eau depuis plusieurs jours déjà. Pour celle-ci il n’y a plus rien à faire, elle est couverte de moisissures de toutes sortes. Je la sors de l’eau pour l’observer, mais je ne parviens pas à l’identifier – à ce stade, je me demande même si le plus expérimenté des sphingologues en serait capable ! Son arbre-hôte était le Peuplier noir juste au dessus de l’abreuvoir. Se serait-elle laissée tomber de l’arbre à l’approche de la nymphose, pour atterrir au mauvais endroit ? Je reprends ma route un peu déprimée par cette rencontre.

Le sentier s’achève, je suis presque de retour à ma voiture, et je n’ai pas trouvé ma chenille. Sur le bord du chemin, je trouve quelques chenilles de Mélitées sur des centaurées. Je ne sais pas de quelle espèce il s’agit. 

Je rentre à la maison un peu dépitée. 


Samedi 10 juillet. Aujourd’hui, je retourne à Larina avec Martin cette fois-ci. On commence par retourner à l’endroit où j’avais trouvé la petite chenille de Sphinx de l’épilobe. Après un petit quart d’heure de recherche, nous en trouvons d’autres. 

Au total nous en voyons 5, à différents stades de développement, mais elles sont encore toutes vertes. Nous cherchons longuement dans les épilobes mais ne trouvons pas de chenilles d’autres espèces. Je propose d’aller explorer une ancienne carrière un peu plus loin, où il pourrait y avoir des épilobes. Le site n’étant pas tout à fait à côté, nous reprenons la voiture. 

Au milieu de la route, je remarque une créature éruciforme et velue. Je m’arrête en plein milieu (c’est une route peu fréquentée) pour aller voir de quoi il s’agit… 

C’est une énorme chenille de Bombyx disparate (Lymantria dispar), proche de la nymphose ! On l’embarque. 

Il faut encore marcher vingt bonnes minutes pour arriver à l’ancienne carrière. Martin s’arrête pour vérifier l’identité d’un Ail, puis d’un petit Gaillet très « délicat » sur lequel il trouve un œuf qui ressemble bien à un œuf de papillon. On décide de le laisser sur place. 
C’est un joli site et de nombreux papillons volent en cette matinée ensoleillée.

Finalement, il n’y a que deux ou trois touffes d’épilobe dans cette ancienne carrière. Et pas de chenilles dessus. Nous devons déjà repartir, comme je travaille l’après-midi… 
Bilan de la journée : toujours pas de Sphinx chauve-souris, mais quelques jolies chenilles de Sphinx de l’épilobe, et un énorme Bombyx disparate. C’est pas si mal ?

Pas de sortie le dimanche, je travaille toute la journée.


Lundi 12 juillet. Je tente de trouver des séneçons autour de la maison. Je pars à pieds en direction de la Vallée bleue. Je repère une belle station de séneçons bien vigoureux, juste à côté de… la station d’épuration. Décidément, on dirait que c’est fait exprès. 
Bien évidemment, je ne trouve rien. 


Mardi 13 juillet. Chez les beaux-parents à Cours-la-Ville. Balade matinale avec Martin sur les hauteurs du village, toujours à la recherche de l’Écaille du séneçon. Il me fait découvrir un séneçon que je ne connaissais pas : le Séneçon de Fuchs (Senecio ovatus). Apparemment, il n’est pas mentionné comme une plante-hôte possible de l’Écaille du séneçon. Bon, on trouve quand même pas mal de pieds de Séneçon de Jacob (Jacobaea vulgaris), mais… dois-je préciser qu’ils ne portent aucune chenille ? 

Dans le très beau jardin de sa mère, sur une Linaire, nous trouvons sans surprise la chenille de la Linariette (Calophasia lunula).

Ce sera tout pour aujourd’hui. La pluie commence à tomber, et elle ne cessera pas de tout le séjour. 


Dimanche 18 juillet. De repos aujourd’hui, nous passons la journée chez un ami dans le plus haut village de l’Ain : Giron. Et devinez ce qui pousse dans son jardin : un énorme bouquet de Séneçon de Jacob ! Je m’y dirige en courant à travers les hautes herbes. 

Bon, vous devez vous en douter, il n’y a aucune chenille dans ce séneçon. Je fais quand même un petit tour du jardin pour voir : dans les graminées, je trouve une chenille de Mi (Euclidia mi), et dans un Camérisier à balais (Lonicera xylosteum), une très jolie Géomètre que je n’avais encore jamais vue, l’Ennomos illunaire (Selenia dentaria). 

De toutes façons, nous n’étions pas venus pour trouver des chenilles. On a quand même passé un beau week-end !


Mardi 20 juillet. Pour l’Écaille du séneçon, j’abandonne. J’aurai peut-être plus de chance pendant les vacances, quand on bougera un peu à travers la France. Je dois me faire une raison, elle ne doit pas être très commune autour de chez moi. Aujourd’hui, je retourne à Larina voir les chenilles de Sphinx. 

En arrivant, je me dirige tout de suite vers les Épilobes à feuille de romarin (Epilobium dodonaei). Avec un peu de recul, je me rends compte que c’est la plus grosse station des environs, du moins d’après ce que j’ai pu voir. Les quelques pieds qu’on peut trouver aux alentours sont disséminés. S’il y a des Sphinx chauve-souris sur ce site, c’est bien là qu’il faut chercher, je suppose…

Le premier quart d’heure est infructueux. Et comme j’arrive en début d’après-midi, il fait super chaud. C’est assez pénible de chercher des chenilles en plein soleil dans ces conditions, mais je suis motivée. Et je finis par trouver !

C’est la première fois que je rencontre une chenille de Sphinx de l’épilobe dans sa livrée caractéristique : brune, avec des motifs rappelant la peau d’un serpent, et un énigmatique ocelle semblable à l’œil d’un cyclope. Elle est encore plus belle que ce que j’imaginais. Mais surtout ! Ce que je n’avais jamais remarqué, sur les photos, ce sont les motifs bleu et orange qu’elle porte sur les flancs, autour des spiracles. Ils sont magnifiques ! Je reste un moment assise à l’observer et à la photographier, puis je lui rends sa tranquillité : elle n’a pas encore tout à fait terminé son développement, et doit encore se nourrir. 

Je ne trouve pas d’autres chenilles de Sphinx ce jour-là, mais comme ça commence à être la période pour voir les chenilles du Flambé (Iphiclides podalirius), et que je n’en ai jamais vu… eh bien, je les cherche. Le sentier est bordé de petits Cerisiers de Sainte-Lucie (Prunus mahaleb), et il y a un Flambé qui butine juste en face. Je tombe rapidement sur un œuf, puis sur un deuxième. 

L’œuf blanc a été pondu récemment ; l’œuf noir est proche de l’éclosion. Il faudra revenir d’ici quelques jours pour espérer voir les chenilles ! 
Je me balade un peu sur le site, sans objectif particulier, m’arrêtant de temps en temps sur des plantes qui pourraient porter des chenilles. Je traverse une grande pâture remplie de plantains, et sans surprise, j’y trouve un grand nombre de chenilles de Mélitée du plantain (Melitaea cinxia), ainsi qu’une Mélitée orangée (M. didyma). Ces deux mélitées font deux générations annuelles dans ma région : on peut donc observer leurs chenilles au début du printemps, puis au milieu de l’été. 
Pour finir, dans un tout petit arbuste, je trouve ce minuscule nid de Gazés (Aporia crataegi) au raz du sol.

Tout juste nées, ces petites chenilles vont devoir survivre à l’automne puis à l’hiver pour terminer leur croissance au printemps suivant. C’est une longue aventure qui les attend, si elles parviennent à survivre aux oiseaux, aux punaises, aux araignées et aux parasitoïdes divers et variés. 


Mardi 23 novembre. Il y a bien longtemps que je n’ai pas mis à jour cet article : et pour cause, il n’y avait pas grand chose à raconter ! Malgré mes recherches, je n’ai pu trouver ni Sphinx chauve-souris, ni Écaille du séneçon cette année. Pour la première espèce, je poursuivrai sans doute mes recherches l’année prochaine ; pour la seconde, ce sera plus simple : mon ami Thomas Klein m’a gentiment donné des chrysalides cet été. Avec un peu de chance, je parviendra à avoir des œufs au printemps, afin d’observer les chenilles à tous les stades.

J’évoquais, au début de l’article, que j’avais trouvé pour la première fois une chenille de Sphinx chauve-souris grâce à une amie. Je l’avais contactée cet été pour lui demander où exactement elle avait trouvé les épilobes sur lesquelles la chenille se trouvait, mais elle était occupée et avait mis beaucoup de temps à me répondre. J’ai été très surprise quand elle m’a répondu : ce n’était pas aux alentours d’Hières qu’elle avait prélevé par mégarde la chenille, mais… dans le village où j’habite ! Ce sphinx était finalement bien plus proche de moi que ce que j’imaginais. Je me suis rendue sur place en fin d’été, mais il était sans doute un peu trop tard pour l’observer, et surtout, l’essentiel de la station d’épilobes se trouvait au cœur d’une carrière en exploitation. Mais au moins je saurai où chercher l’année prochaine.

J’achève cet article par une dernière anecdote. Le mois dernier, cette amie est venue passer quelques jours à la maison. Alors qu’elle parcourait les photos de son appareil pour me montrer quelques chenilles qu’elle a croisé cette année, elle s’est arrêtée sur celle d’une chenille jaune rayée de noir. « Tiens, c’est pas la chenille que tu cherchais cette année, ça ? ». 
Ironie de la situation : c’est grâce à elle que je me suis mise à la recherche du Sphinx, et que cet article a vu le jour. Finalement, je n’ai trouvé aucune des deux espèces recherchées, alors qu’elle, qui ne s’intéresse pas particulièrement aux chenilles, les a trouvées toutes les deux par hasard.

Chenilles « processionnaires », réseaux sociaux, et pédagogie

Depuis que j’ai commencé à m’intéresser aux chenilles, j’ai rejoint de nombreux groupes de jardinage, essentiellement pour aider les jardiniers qui souhaitent connaître l’identité des chenilles qu’ils ont observées dans leur jardin. Au printemps et en été, je consulte quotidiennement les nouvelles publications au sujet de chenilles, et tout particulièrement celles concernant des chenilles dites « processionnaires ».

De bonne heure ce matin, j’ai bien failli avaler mon thé de travers en tombant sur cette publication :

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Cette belle chenille velue n’a rien d’une processionnaire, elle n’appartient même pas à la même famille. C’est une Laineuse du prunellier, inoffensive, mais surtout, protégée sur tout le territoire, inscrite sur la liste rouge des insectes de France métropolitaine, et en Annexe II de la directive habitats !

Le problème des groupes facebook, où chacun donne son avis…

Je comprends tout à fait que beaucoup de personnes se méfient des chenilles poilues, avec tout ce qu’on peut lire sur le net au sujet des chenilles processionnaires. Et je comprends également que, sur les réseaux sociaux, n’importe qui est libre de donner son avis. Au fond, je ne peux pas en vouloir à cette personne : elle ne sait sans doute pas qu’il existe plusieurs milliers d’espèces de papillons en France, et que les chenilles de beaucoup d’entre eux sont couvertes de poils. Elle pensait sûrement bien faire, en alertant l’auteure du post sur la dangerosité des chenilles processionnaires. Le problème est qu’en plus de raconter des bêtises, elle a incité la personne à détruire une espèce protégée, et c’est assez problématique. Heureusement, l’histoire se finit bien : l’auteure du post avait déjà relâché la chenille avant de poster la photo, et n’a pas tenu compte du premier commentaire. Je lui ai par la suite expliqué qu’elle avait bien fait, et elle semblait contente d’apprendre qu’elle avait une espèce protégée dans son jardin.

Tout le monde a le droit de se tromper. C’est tout à fait normal de ne pas savoir identifier une chenille à partir d’une simple photo, ou de confondre deux espèces qui se ressemblent un peu. Mais dans ce cas là, quand on a peu de connaissances en la matière, la logique voudrait que l’on se renseigne un minimum avant d’annoncer avec certitude qu’il s’agit de telle ou telle espèce, ou alors que l’on garde une certaine réserve : « Je crois qu’il s’agit d’une chenille processionnaire », ou bien « ça ressemble à une chenille processionnaire ». Moi-même, lorsque j’identifie une chenille sur les réseaux sociaux, je commence souvent par dire « Il s’agit certainement de… », parce que bien souvent il n’est pas évident d’identifier une chenille avec certitude à partir d’une seule photo !

… et l’importance de la pédagogie

Evidemment, j’ai du mal à rester calme quand je lis ce genre de commentaires. Mais je pense qu’il est essentiel de rester pédagogues lorsqu’on essaye d’expliquer à une personne qu’elle s’est trompée et qu’il ne s’agit pas d’une processionnaire. En général, quand je réponds à ces commentaires, j’essaye de donner quelques infos « clés » sur les chenilles processionnaires :

  • Je précise qu’on recense plus de 5000 espèces de Lépidoptères en France, et que les chenilles de beaucoup de ces espèces possèdent des poils et/où sont grégaires et vivent en groupe dans les arbres ou au sol, sans pour autant être dangereuses pour l’homme ou les animaux,
  • J’explique que les processionnaires s’observent très rarement seules, et toujours à proximité immédiate des pins/cèdres ou des chênes,
  • Quand c’est possible et pas trop complexe, je donne des critères qui permettent de différencier l’espèce en question des chenilles processionnaires,
  • Et quand je dispose de la documentation nécessaire, j’ajoute à mon commentaire une petite fiche ou une photo de l’espèce concernée, pour montrer qu’elle est inoffensive ou prouver qu’il ne s’agit pas d’une processionnaire.

Mais pourquoi, vous demandez-vous peut-être, je passe autant de temps à répondre à ces personnes, parfois en répétant 10 fois la même chose sous une tournure différente ? Tout simplement parce que je pense que les informations sont beaucoup mieux retenues si elles sont amenées avec pédagogie. Je me dis, peut-être avec naïveté, que chaque personne à qui je réponds reconsidérera peut-être ce qu’elle prenait pour acquis, c’est à dire : « toutes les chenilles poilues sont forcément des processionnaires », et se questionnera à l’avenir avant de prendre la décision de détruire une chenille ou un nid de chenilles.

En général, les personnes auxquelles je réponds admettent leur erreur et sont désolées d’avoir dit des bêtises ; parfois, elles sont contentes d’avoir appris quelque chose, et me recontactent par la suite pour me demander d’identifier d’autres chenilles. Récemment, une personne pensait avoir trouvé dans son pré des chenilles processionnaires, et envisageait de détruire leur « nid » : je lui ai expliqué qu’il s’agissait en réalité d’inoffensives chenilles de Livrées (Malacosoma franconica en l’occurrence). Elle a été ravie et rassurée de connaître leur identité, et est retournée les voir tous les jours pour les observer, en m’envoyant même des messages pour me poser des questions à leur sujet.

Et puis, surtout, je pense qu’il est totalement inutile et contre-productif de s’énerver contre les personnes qui identifient à tort des chenilles comme étant des processionnaires. Personne n’aime être pris de haut par une personne condescendante, ni se sentir mal ou culpabiliser. Je trouve personnellement les commentaires du type « Moi je sais mieux que vous et c’est pas une processionnaire » encore moins pertinents que ceux disant « C’est une processionnaire » lorsqu’il ne s’agit pas d’une processionnaire. Quand on possède un savoir, il est bien plus enrichissant de le partager avec les autres que de se vanter de le détenir. Dire « Je sais mieux que vous » sans donner plus de précisions, c’est rater une belle occasion de partager ses connaissances, et de sensibiliser une personne.

Quoi qu’il en soit, toutes ces histoires m’ont motivée à continuer à sensibiliser un maximum de personnes afin de « sauver des chenilles » à distance. Et surtout, motivée à reprendre la rédaction de ce site, en complétant les pages entamées et pourquoi pas en créant de nouvelles fiches sur les espèces fréquemment confondues avec les chenilles processionnaires (notamment l’écaille tessellée et l’écaille villageoise, dont il me manque des photos…). Au travail !

La chenille surprise

Le 18 juin 2018, je décide de faire un tour aux Charmettes, sur les hauteurs de Chambéry. C’est un de mes « coins à chenilles » préférés, où j’ai rencontré de nombreuses espèces au cours de l’année, et je suis pleine d’espoir d’en trouver ce jour-là de nouvelles.
Je m’attends à trouver ce lieu tel qu’il était la fois précédente : de vastes étendues de plantes herbacées non fauchées au dessus desquelles volent par dizaines les papillons, des haies, des arbres, et des chenilles. Mauvaise surprise en arrivant : tout a été fauché. Difficile donc d’espérer trouver la moindre chenille dans les chaumes sèches qui remplacent les hautes herbes… Je me rabats sur les arbres, mais je n’y trouve pas la moindre chenille. Après quelques dizaines de minutes, je commence à perdre espoir, quand je tombe sur cette chenille.

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Je la reconnais immédiatement : c’est l’étoilée, une chenille que je voulais justement croiser car je n’avais pas encore de photo d’elle ! C’est ma seconde rencontre avec cette chenille, la précédente datant d’au moins 4 ans. Je décide de l’élever pour obtenir par la même occasion des photos de son papillon.

Les jours passent, la chenille grandit vite et ne tarde pas à tisser un cocon très sommaire dans lequel elle effectue sa nymphose. Le 28 juin, soit seulement 10 jours après l’avoir trouvée, elle sort de sa chrysalide.

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Aucun doute possible, c’est une femelle. C’est la première fois que j’ai l’occasion de voir cet insecte « en vrai ». Je décide de la laisser à l’air libre pour sa « nuit de noce », en espérant qu’un mâle vienne lui rendre visite.

Le lendemain, elle s’agite sur le petit morceau d’écorce qui lui sert de support. Je pressens que le moment de la ponte est proche, et je prépare l’appareil photo. J’assiste à la ponte, que je filme en même temps.

J’ignore à ce moment si les œufs sont fécondés, puisque je n’ai pas aperçu de mâle à proximité. La femelle ne tarde pas à mourir après avoir pondu, et je garde le morceau d’écorce couvert d’œufs dans ma boîte à chrysalides. Les jours puis les semaines passent, et j’oublie l’existence de ces œufs, que je suppose finalement non fécondés. Je m’absente à ce moment pendant plusieurs journées d’affilées de notre appartement.

Et puis le 27 juillet, je remarque une petite chenille poilue sur une tige de Rumex dans un pot sur le bord de la fenêtre (mon compagnon y fait pousser des plantes sauvages). Je comprends immédiatement d’où elle vient, et pour en avoir confirmation, je regarde le morceau d’écorce : les œufs ont éclos, et les chenilles ont réussi à passer à travers le grillage de la boîte.

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J’ai bien cherché, mais je n’ai jamais retrouvé ses frères et sœurs ; je suppose qu’ils ont rejoint l’extérieur en passant par la fenêtre, presque tout le temps ouverte à cette période. J’aurais bien voulu la garder en liberté dans l’appartement, mais elle en a décidé autrement : après quelques jours passés à grignoter le Rumex, la chenille a elle aussi décidé d’aller chercher autre chose à grignoter dehors. Je l’ai laissée partir, et ne l’ai plus jamais revue.

La « processionnaire du cerisier » n’existe pas !

Si vous êtes tombé sur cet article en recherchant l’identité des chenilles qui vivent dans vos arbres fruitiers, consultez plutôt la page : Des « nids » de chenilles dans mes arbres fruitiers : que faire ?
Les chenilles processionnaires ne vivent jamais dans les cerisiers, uniquement dans les résineux ou les chênes. Si vous avez des chenilles dans votre cerisier, rassurez vous, il est très probable qu’il s’agisse de chenilles de Grande tortue, totalement inoffensives, et protégées dans certains départements.

La Grande tortue

J’ai écrit l’article ci-dessous en 2018, en réaction à une publication sur un groupe de jardinage : un homme avait trouvé des chenilles dans un cerisier et se vantait de les avoir détruites, et plusieurs personnes affirmaient qu’il s’agissait de chenilles processionnaires, alors qu’il s’agissait en réalité de chenilles de Grande tortue. Cet article est un peu un « coup de gueule » contre les personnes qui donnent leur avis sur des sujets qu’elles ne maîtrisent pas du tout.
Le titre de cet article, « la processionnaire du cerisier… », est volontairement trompeur (vous êtes sans doute tombé dessus en cherchant « processionnaire cerisier » sur google, et c’est le but !). Mais la processionnaire du cerisier n’existe pas.
Pour apprendre à différencier les processionnaires des autres chenilles « poilues », je vous invite à consulter l’article : Chenilles processionnaires et autres chenilles poilues, ne les confondez plus !

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J’avais commencé à rédiger la page se débarrasser des chenilles au jardin ce matin, et il m’a semblé nécessaire de répondre avant toute chose à la question « pourquoi se débarrasser des chenilles au jardin ». J’ai repensé à un échange que j’ai eu il y a quelques mois sur Facebook à ce sujet, et j’ai pensé qu’il illustrerait parfaitement ce que j’ai à dire sur le sujet.

Contexte : il y a quelques mois, j’ai rejoint plusieurs groupes de jardinage sur les réseaux sociaux, en me disant que je pourrais aider les personnes confrontées à des problèmes liés à la présence de chenille dans leur jardin, ou aider à l’identification de chenilles.

Tout se passait plutôt bien : hormis quelques personnes hurlant à la processionnaire à la moindre chenille poilue, les membres de ces groupes semblaient faire preuve de bon sens face aux chenilles. Et puis, il y a eu ce post. Sur un groupe de permaculture.

c1.PNG Une personne que nous nommerons Monsieur L. poste sur ce groupe dédié au « jardinage et potager biologique » et à la « permaculture », ces 3 photos.

La première photo montre des chenilles d’Hyponomeutes (Yponomeuta sp.), un petit papillon de nuit dont les chenilles tissent d’impressionnantes toiles sur certaines espèces d’arbustes. Elles sont capables de défolier les arbres et notamment les fusains, mais ces derniers s’en remettent généralement sans séquelles après la nymphose des chenilles.

Sur la seconde photo, ce sont des chenilles de Grande tortue (Nymphalis polychloros), un papillon « de jour » de la famille des Nymphalidés. Cette espèce est en déclin : elle est protégée en Île de France et est éteinte en Grande-Bretagne. Ce ne sont évidemment pas des chenilles processionnaires.

Monsieur L. poste donc ces trois photos, et demande aux autres membres du groupe s’ils ont aussi ce « phénomène » par chez eux – phénomène qu’on pourrait appeler le printemps, en somme. Jusqu’ici tout va bien.

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Plusieurs personnes répondent qu’elles ont observé le printemps chez elles aussi. Une autre personne poste une photo d’hyponomeutes dans leur toile. Et puis, Monsieur L. nous informe que « cet après-midi, il en a brûlé ».

Après tout, c’est son droit : ce n’est pas une espèce protégée dans sa région, et les chenilles se nourrissent sur ses arbres. Pour le premier arbuste, sans doute un Fusain, les Hyponomeutes risquent en effet de bien l’abîmer et porter atteinte à sa valeur paysagère. Pour le second, le cerisier, tout dépend de son âge et de son état de santé… J’y reviendrai plus tard.

Quelques commentaires que jc3.PNGe trouve plutôt sensés pointent du doigt le fait que le phénomène est naturel et qu’il n’y a pas de quoi tout détruire. Ce à quoi Monsieur L. rétorque que, selon sa voisine, ces chenilles viennent de Chine.
La voisine de Monsieur L. confond sans doute les Hyponomeutes avec les chenilles de la Pyrale du buis, qui vient bien d’Asie ; mais ni les Hyponomeutes, ni les Grandes tortues ne sont exogènes en France ! Et comme le dit Baptiste, elles ne s’attaquent pas aux cerises…

c4.PNG

Plusieurs personnes s’accordent alors à dire que ces chenilles sont vraiment problématiques : « ça ne se contente pas de manger, elles détruisent toute la nature » ; « cela mange nuit et jour, voyez comme elles sont grasses ». Si on met de côté le fait que ces répliques semblent sortir d’une pièce de théâtre, je trouve ça assez hypocrite d’accuser des chenilles de détruire la nature, de la part de quelqu’un qui détruit les chenilles et donc… la nature.

J’interviens alors (j’ai remplacé ma photo par le logo du site) pour souligner que brûler des chenilles, ça n’est pas trop en accord avec les valeurs de la permaculture, ce à quoi Monsieur L. me répond que ses petits enfants mangeraient bien de ses cerises bio. Comme si ces chenilles allaient anéantir sa récolte de cerises ; et comme si la seule alternative, face à une mauvaise récolte, était d’acheter des cerises traitées !

Bref, j’expose mes arguments dans les commentaires suivants, jusqu’à ce que Monsieur L. me réponde : « Je pense que vous habitez en ville !! Moi je suis à la vrai campagne » [sic].
Parce que, quand on cherche à défendre la biodiversité, on est forcément un citadin qui n’y connait rien à la nature… Je préfère couper court au débat qui, de toutes façons, s’annonce sans issue : nous avons 2 points de vue différents que nous défendons avec plus ou moins de conviction. Et si Monsieur L. commence à  m’accuser de n’y rien connaître, c’est sans doute parce qu’il arrive à cours d’arguments.

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À ce moment, je songe à quitter le débat, en laissant tout de même un petit message au sujet des papillons que seraient devenues les chenilles de la Grande tortue brûlées par Monsieur L. – et en insistant sur le fait que l’espèce est en déclin en France.
Et puis là, ça recommence…

c8.PNGParce que ces chenilles ont le malheur d’être grégaires et d’être couvertes de soies épineuses (qui n’ont rien à voir avec les poils urticants des processionnaires), elles sont forcément urticantes et dangereuses. Et parce qu’elles sont urticantes et dangereuses, il faut les détruire.
Catherine, qui semble bien connaître les chenilles, nous informe que ce sont des chenilles qui « peuvent faire mourir votre chien », ce qui est de toute évidence faux. Et elle ne veut rien entendre lorsqu’on l’informe qu’il ne s’agit pas de chenilles processionnaires.

Elle finit par ne plus répondre. Peut-être a-t-elle fini par comprendre ? C’est alors qu’arrive Carole…

c9.PNG« Respire, tout va bien », me dis-je, « c’est forcément un troll ». Vraiment, à ce stade de la conversation, quand j’ai indiqué à 3 reprises le nom de la chenille, qui pourrait encore crier à  la processionnaire ? Non, vraiment, ça ne peut qu’être un troll…

Bon, je sors mon petit visuel habituel conçu spécialement pour cette situation (et que vous pouvez télécharger ici), et je réponds à Véronique qui s’intéresse aux chenilles. Je n’ai pas capturé la suite de la conversation, c’est sans intérêt pour cet article.

c10.PNGPlus bas dans les commentaires, une dénommée Elodie souligne une fois de plus que tout détruire n’est pas en accord avec les valeurs de la permaculture. Je suis assez d’accord avec elle sur le fond, même s’il n’est pas question de nature qui reprend ses droits ou d’invasion de chenilles : la Grande tortue (comme les Hyponomeutes) est une espèce dont les chenilles sont grégaires, et c’est tout à fait normal de les observer en grande nombre.

Et puis monsieur L. revient à la charge dans un hors-sujet total : il évoque une « invasion de chenilles qui arrivent de Chine » (les Pyrales du buis, oui, mais qui les a importées ?), d’abeilles (peut-être pense-t-il au Frelon asiatique – mais comment est-il arrivé dans nos contrées ?) et de coccinelles (… qui a introduit les coccinelles asiatiques ?). À le lire, on s’imaginerait une armée d’insectes qui traverseraient les continents, avides de tout détruire sur leur passage. Bref, une fois de plus il rejette la faute sur les autres (les insectes ou les chinois, je n’ai pas trop compris où il voulait en venir), mais ne se remet pas du tout en question.

À ce stade de la conversation, je me dis qu’on a touché le fond. Et pourtant…

c11.PNGVisiblement, pour Mélanie, lire les commentaires déjà postés avant de répondre, c’est trop compliqué. Une fois de plus, les chenilles sont identifiées comme des processionnaires. Pire même, selon elle, toutes les chenilles noires et poilues sont des processionnaires, alors que les processionnaires françaises ne sont même pas noires…

Je m’arme donc de patience, de bienveillance et d’un smiley gentil pour poster à nouveau mon petit visuel. Et Mélanie me répond en m’envoyant une photo de « la chenille processionnaire ». Je pense qu’on ne voit pas bien sur la capture d’écran, alors je vous la remets plus bas en grand.

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Vous la reconnaissez ? Avec sa tête bleue maculée de deux points noirs, sa ligne médiane blanche entourée de rouge, de noir et de bleu, et sa fine pilosité orange, c’est la chenille de la Livrée des arbres (Malacosoma neustria), aussi mignonne qu’inoffensive.

c12.PNGLa suite se passe de commentaires. Je suppose, ou plutôt j’espère, que le « professionnel » qu’évoque Mélanie était bien venu détruire des cocons de Processionnaires, et que cette petite Livrée se trouvait au même endroit. Parce que si le professionnel est venu détruire un nid de Livrées des arbres (grégaires aux premiers stades larvaires) et qu’il n’est pas capable de la distinguer des processionnaires, il y a un réel problème…

Quelques commentaires sans intérêt ont suivi, incluant une nouvelle fausse-identification des chenilles à laquelle j’ai une fois de plus répondu poliment avec mon petit visuel, et la conversation s’est essoufflée. Ce post m’est sorti de la tête, jusqu’à ce qu’un mois plus tard, Monsieur L. poste cette photo sur le même groupe.

c13.PNG

Tout ce que Monsieur L. aura retenu de cet échange, c’est que ses chenilles étaient bien des processionnaires, et qu’il a bien fait de les tuer.

Prenons un peu de recul sur cette histoire. J’ai brièvement épluché la littérature sur les ravageurs du cerisier, et la Grande tortue n’est pas citée comme une réelle menace.

Le 20 mai, soit 2 jours après ce débat sur Facebook, j’ai examiné un cerisier qui se trouve dans le jardin de mon arrière grand-mère. C’est un arbre plutôt jeune, qui ne produit pas encore beaucoup de cerises. J’y ai trouvé les traces de passage de la grande tortue : beaucoup de feuilles avaient été consommées, mais j’arrivais trop tard pour voir les chenilles, qui étaient déjà devenues chrysalides.

Vous pouvez constater plusieurs choses en observant ces photos :

  • Les chenilles sont restées groupées tout au long de leur développement, comme l’atteste la présence d’exuvies (enveloppes de peau dont les chenilles se débarrassent à chaque mue) regroupées sur les feuilles. Elles ne se sont pas dispersées sur tout l’arbre.
  • Par conséquent, elles ont principalement consommé les feuilles situées sur quelques branches, et non affaibli toutes les branches.
  • Elles n’ont consommé que les feuilles et n’ont pas touché aux cerises.

Le 28 août, soit plus de 3 mois plus tard, je suis retournée voir ce cerisier. On ne voyait plus aucune trace du passage des chenilles. Le cerisier n’avait pas du tout été impacté par leur présence.

J’en reviens au sous-titre de cet article.

Pourquoi se débarrasser des chenilles ?
Mes propos portent évidemment uniquement sur les espèces indigènes – il est évident que la Pyrale du buis n’a pas sa place dans nos écosystèmes.  

Par la place qu’elles occupent dans les écosystèmes, les chenilles jouent un rôle important et essentiel à leur bon fonctionnement. Elles fournissent une alimentation riche aux oiseaux insectivores : rouge-queues, mésanges et autres passereaux consomment un grand nombre de chenilles au printemps, et en rapportent au nid pour nourrir leurs jeunes. Au stade adulte, les papillons « de jour » comme « de nuit » participent à la pollinisation, et continuent à alimenter les oiseaux, mais aussi les chauve-souris et autres mammifères insectivores. Elles ont donc tout à fait leur place dans nos jardins et nos forêts.
Lorsqu’on trouve un grand nombre de chenilles dans un arbre fruitier, il est normal que l’on s’inquiète pour la future récolte, mais la destruction n’est pas toujours – j’irais même jusqu’à dire, rarement – nécessaire. Dans la plupart des cas, il est tout à fait possible de déplacer les chenilles sur un autre arbre faisant partie des plantes-hôtes de l’espèce (voir aussi cet article consacré aux chenilles que l’on rencontre dans les arbres fruitiers).
Enfin, il faut aussi prendre en compte qu’au cours de leur développement, un grand nombre de chenilles sera parasité par des diptères ou des hyménoptères (si vous voulez en savoir plus au sujet des prédateurs des chenilles, c’est par ici !). Par conséquent, lorsque vous brûlez un nid de chenilles, vous brûlez par la même occasion les nombreuses larves d’insectes parasitoïdes qui se trouvent à l’intérieur des chenilles, et qui auraient participé, l’année suivante, à « réguler » leurs populations.

La « peur » des chenilles, ou des dégâts qu’elles peuvent occasionner, est finalement assez symptomatique de notre déconnexion avec la nature, et plus particulièrement avec les insectes qui nous entourent. Et oui, Monsieur L., les jolis papillons devant lesquels vous vous extasiez au printemps, et qu’il ne vous viendrait pas à l’idée d’écraser, ont été par le passé de grosses larves ventrues dont le seul objectif était de grandir en dévorant vos plantes.

La préservation de la biodiversité nous concerne tous. Les entomologistes et autres scientifiques sont unanimes pour dire que les populations d’insectes s’effondrent. Il est vrai que notre rapport aux insectes évolue positivement, mais seulement lorsqu’il s’agit d’insectes que l’on juge « utiles » : les abeilles, les coccinelles, les papillons… Pourtant même les espèces que nous jugeons « nuisibles » participent, d’une manière ou d’une autre, au bon fonctionnement des écosystèmes.

Sans aller jusqu’à laisser nos cultures se faire dévorer par les insectes, ne pourrions-nous pas simplement faire quelques recherches avant de les détruire ? Je suis persuadée que la plupart du temps, la destruction non-nécessaire des chenilles est alimentée par l’ignorance ou la méconnaissance : on les tue parce qu’on les a confondues avec d’autres chenilles (typiquement, les chenilles processionnaires), ou parce qu’on pense qu’elles vont tout détruire.

Si vous êtes tombé(e) sur cette page, c’est sûrement parce que vous avez cherché à mettre un nom sur les chenilles que vous avez trouvé dans votre cerisier avant de chercher à les tuer. Merci à vous, et j’espère que mon article vous aura convaincu qu’il n’est pas nécessaire de les détruire.

Quelques chenilles de Vanoise

Comme je l’évoquais dans l’article précédent, j’ai eu la chance cet été de passer plusieurs semaines en Vanoise. J’ai donc eu l’occasion de croiser un certain nombre d’espèces de chenilles différentes, dont certaines que je n’avais jamais rencontré auparavant ! Ces dernières ne feront pas toutes l’objet de pages individuelles sur le site, puisque j’y parle en priorité des chenilles communes que l’on trouve un peu partout dans nos campagnes. Reste qu’elles ont tout à fait leur place ici, alors ce petit article leur sera consacré !

  • Hétérocères

L’alpine (Malacosoma alpicola)
Présente partout et souvent en grand nombre, cette jolie chenille poilue y est parfois confondue avec les chenilles processionnaires. Pourtant, elle n’a pas grand chose à voir avec les redoutées urticantes. La raison de cette confusion : ses poils, et son caractère grégaire. On peut en effet parfois observer de grands groupes de ces insectes, se déplaçant parfois même en procession !

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1.jpgEt non, ce ne sont pas des processionnaires ! Photo : Martin Fargeat

L’alpine fait partie des 4 espèces françaises du genre Malacosoma. Toutes partagent les mêmes couleurs, et il est parfois difficile de les différencier : constatez par vous-même en cliquant ici ! Pour reconnaître l’alpine, retenez qu’elle ne possède pas de points noirs sur la tête (contrairement à M. neustria) et qu’on la rencontre surtout en altitude (au dessus de 1000 mètres), dans les Alpes, le Jura et les Pyrénées.

La Laineuse de l’aulne vert (Eriogaster arbusculae)
Pour rester dans la famille des Lasiocampidés, une belle laineuse découverte sur un saule. Elle fait partie des 4 espèces françaises du genre Eriogaster et se rencontre essentiellement dans les Alpes, sur des plantes telles que les aulnes et les saules.

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L’Écaille du plantain (Parasemia plantaginis)
Toujours dans les hétérocères mais dans une famille différente (les Érébidés), une chenille dont la toison est assez caractéristique du groupe des écailles : l’Écaille du plantain. Elle se reconnaît facilement à sa coloration d’un noir profond et sa tache rousse plus ou moins bien délimitée et étendue sur le dos. À cela s’ajoutent quelques soies blanches à l’arrière du corps, une petite tête noire luisante et une démarche rapide, elle aussi caractéristique des écailles.

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Son papillon s’observe lui aussi facilement dans la végétation.

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L’Écaille tiretée (Ocnogyna parasita)
Une autre écaille plus joliment colorée d’orange avec une ligne dorsale jaune bien marquée. Elle se rencontre en France uniquement dans les Alpes. J’ai eu l’occasion de croiser sa chenille à quelques reprises, mais pas son papillon.

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Une inconnue…
Pour terminer avec les hétérocères, une petite chenille que j’ai supposé être elle aussi une écaille (ou, du moins, une représentante de la sous-famille des Arctiinae). Mes recherches ne m’ont pas permis de l’identifier, mais si vous avez une idée de son identité, n’hésitez pas à m’en faire part dans les commentaires !

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  • Rhopalocères

Le damier des alpages (Euphydryas cynthia)
Chez les rhopalocères cette fois-ci, je commence avec la famille des Nymphalidés (c’est, entre autres, la famille du Paon du jour ou du Vulcain). L’une des premières chenilles que j’ai pu voir en Vanoise fut celle du damier des alpages, un magnifique papillon qui possède une curieuse particularité : chez cette espèce, le dimorphisme sexuel (différence entre les individus mâles et femelles) est très marqué. Ce caractère est assez rare chez les papillons de jour, du moins chez les espèces françaises.

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Sur les photos ci-dessous, vous remarquerez donc l’importante différence de couleur entre la femelle et le mâle.

4Madame

17Monsieur

18Monsieur et madame

5Femelle tout juste sortie de sa chrysalide, à laquelle est encore accrochée la dernière mue de sa chenille.

Quelques autres « mélitées »
Mélitées et damiers appartiennent à la même sous-famille des Melitaeinae. Ci-dessous, voici quelques individus croisés que je n’ai pas encore tenté de déterminer – il faut avouer que beaucoup d’espèces se ressemblent !
Vous pouvez remarquer sur ces 5 photos les critères morphologiques permettant de supposer qu’il s’agit d’espèces de cette sous-famille : la présence de soies épineuses et une tête relativement grosse, légèrement bilobée.
L’une de ces chenilles m’a pourtant interpellée : la noire constellée de blanc. Il s’agit sans doute d’un Damier de la succise (Euphydryas aurinia), une espèce protégée au niveau national, mais je ne m’attendais pas à la trouver en ce lieu et je n’ai vu aucun imago.

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Un petit « azuré »
Difficile de se prononcer sur l’identité de cette petite chenille de la famille des Lycaenidéstrouvée sur des feuilles de Sainfoin des montagnes. Dans cette famille, plusieurs espèces sont connues pour être myrmécophiles : c’est-à-dire qu’elles se développent en symbiose avec des fourmis. La myrmécophilie est surtout connue chez les espèces du genre Phengaris ( = Maculinea).
Toutes les chenilles similaires que j’ai pu observer ce jour-là étaient entourées de fourmis, mais je ne sais exactement par quel lien elles sont reliées.

  • Quelques papillons…

Je n’ai hélas pas pu photographier les chenilles de tous les papillons que j’ai croisés, mais voici cependant quelques belles espèces que j’ai rencontré au cours de ce séjour.

L’Écaille alpine (Setina aurita)
C’est une toute petite écaille discrète que l’on peut trouver dans la végétation rase des alpages. J’ai eu l’occasion de la croiser à deux ou trois reprises.

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L’Écaille martre (Arctia caja)
Cette écaille est plutôt commune et n’est pas inféodée au milieu montagnard : on peut la rencontrer un peu partout en France. Pourtant, c’est la première fois que je croisais un individu adulte sauvage. C’est une très belle et grande espèce.

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La Piéride du Vélar (Pontia callidice)
Une petite piéride que l’on rencontre dans les Alpes et les Pyrénées. Elle n’est pas forcément identifiable à partir de cette photo, mais je l’ai déterminée « en main » !

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Le Candide (Colias phicomone)
Il fait partie des papillons du genre Colias, dont l’identification est souvent difficile. Il faut pour cela observer le dessus des ailes – et là encore, ce n’est pas toujours simple.

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LAzuré des soldanelles (Agriades glandon)
C’est un tout petit azuré que l’on rencontre en montagne. Celui-ci était immobile sur une graminée à l’approche d’un orage.

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L’Apollon (Parnassius apollo)
C’est un peu un « incontournable » en montagne : ce grand Papilionidé blanc aux ocelles rouges est protégé en France. La prise de vue est plus originale qu’autre chose, mais cet individu n’était pas très coopératif pour se montrer sous le bon angle !

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Ce petit récit-photo s’achève ici… En espérant que je puisse retourner là-haut à la belle saison prochaine pour tenter de photographier d’autres espèces que je n’ai pas eu la chance de croiser cette année !

Monsieur ou Madame Duchêne

Le mois dernier, j’ai accompagné mon compagnon botaniste en Vanoise, où il effectuait des transects floristiques dans le cadre de l’élaboration d’une méthode d’évaluation de l’état de conservation des pelouses d’altitude. Pendant quelques semaines, je l’ai aidé à réaliser ses relevés, et j’ai pu découvrir une partie de l’entomofaune (et de la chenillofaune!) des Alpes que j’ignorais jusqu’alors, dont j’ai un peu parlé ici.

Mais surtout, j’ai eu l’occasion de tomber sur un Lasiocampidé que je recherchais particulièrement : le Bombyx du chêne (Lasiocampa quercus). Il vous semblera peut-être curieux que je recherche particulièrement cette espèce-là, sans doute la plus commune de sa famille et présente un peu partout… Et bien pourtant si, car il faut dire que cette année, je n’ai pas eu de chance avec ce Bombyx !

C’est une espèce que j’avais déjà élevée par le passé (en 2017), et dont j’avais conservé un épineux souvenir (la manipulation de son cocon m’avait laissé quelques poils urticants dans les doigts). Cette année, je voulais renouveler l’expérience, d’une part parce que je n’avais pas pris le soin de photographier la chenille, et d’autre part parce que je souhaitais réaliser l’expérience que l’entomologiste Jean-Henri Fabre décrivait dans ses Souvenirs entomologiques. 1

Au printemps de cette année, j’étais tombée sur une grosse chenille poilue et orangée, que je pris pour un Bombyx du chêne, ignorant à ce moment qu’il existait une espèce proche.

Lasiocampa trifolii (1)Avouez que le doute est permis !

Contente de ma trouvaille, je l’avais ramenée chez moi et élevée dans une grande serre. J’avais vite remarqué qu’elle appréciait beaucoup les feuilles de trèfle, sans y accorder plus d’importance. Au cours des semaines suivantes, j’étais tombée sur d’autres chenilles de Bombyx du chêne (des vraies, cette fois), que je n’avais pas pris la peine de prélever, puisque je pensais en avoir déjà une. Ce n’est que quelques jours plus tard que j’ai découvert que mon Bombyx « du chêne » était en réalité « du trèfle », ce qui expliquait son appétit pour les Fabacées…

Et depuis ce jour là, je n’avais pas réussi à mettre la main sur la moindre chenille de Bombyx du chêne vivante. Chaque fois que j’en trouvais une, que je reconnaissais ses couleurs et sa forme, je devais essuyer la déception d’être face à un cadavre. Un jour, c’était une belle chenille pendouillant sur une branche ; le lendemain, je retrouvais un individu tout mâchouillé et vidé de son contenu sur une feuille ; et la semaine suivante, c’était un Bombyx tout desséché qui m’attendait au détour d’un chemin…

J’avais donc abandonné l’idée de trouver cette espèce en 2018, jusqu’au 23 juillet. En montant un chemin de randonnée en pierre très fréquenté, mon compagnon m’a désigné du doigt une chenille posée sur une pierre, immobile. C’était Monsieur – ou Madame – Duchêne.

Lasiocampa quercus (5)

Satisfaite de cette trouvaille tardive, je l’ai ramassée pour en faire quelques photos pour le site, puis j’ai décidé de la garder. J’ai vite remarqué qu’elle n’était pas tout à fait dans son assiette : peu active, sa dernière paire de fausses-pattes était comme paralysée, et elle refusait de manger. Durant une semaine, j’ai tenté de lui présenter plusieurs plantes : rien à faire, elle ne voulait rien avaler, ce qui se confirmait par l’absence de crottes dans sa boite. Je l’ai alors pensée parasitée, ce qui aurait expliqué son état général.

Et puis un matin, 7 jours exactement après l’avoir ramassée, j’ai retrouvé des fragments de peau dans sa boite. Elle était en train de muer, mais les choses ne se passaient pas comme d’habitude : à divers endroits de son corps, son ancienne peau ne s’était pas décollée, et elle peinait à s’en débarrasser. J’ai retiré les morceaux qui restaient, et lui ai proposé quelques feuilles de myrtille fraîches, qu’elle s’est mise à manger.

Lasiocampa quercus (6).png

Nous sommes aujourd’hui le 22 août, un mois presque jour pour jour après sa découverte. Monsieur ou Madame Duchêne n’a pas grandi depuis sa dernière mue, et ne semble pas se précipiter pour passer à l’étape supérieure. Elle mange une feuille de rosier par jour, et ne bouge presque pas.

Quoi qu’il en soit, je surveille son évolution de près, et je ne manquerai pas de vous raconter l’issue de cet élevage ici, lorsque Monsieur ou Madame se décidera à faire sa nymphose… Si il ou elle se décide un jour !


Suite et fin tragique

Hélas, Monsieur ou Madame Duchêne n’est plus : je l’ai retrouvé mort un matin. Il faudra attendre l’année prochaine pour pouvoir tenter à nouveau de l’élever…


2019 : la malédiction continue 

Fin 2018, je suis tombée sur une jeune chenille de Bombyx du chêne sur des feuilles de lierre. Mais je n’avais rien sur moi pour la ramener à la maison, et je craignais de ne pas trouver de quoi la nourrir durant l’hiver… Je l’ai donc laissée sur place.

Puis au début du printemps 2019, lors d’une sortie étudiante encadrée par des professeurs, j’ai trouvé à nouveau une chenille de Bombyx du chêne sur un tronc d’arbre. Malheureusement, je n’avais toujours rien sur moi pour la prendre, et j’ai dû la laisser sur place (mais j’ai quand même pris le temps de la prendre en photo !)

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Enfin, lors d’une balade au mois de mai, une amie m’a montré du doigt une chenille qu’elle venait de trouver : « tu la connais, celle-là ? ». Ouiii, c’est lui, c’est mon Bombyx du chêne ! Et cette fois, j’avais tout prévu : j’ai sorti de mon sac ma boîte à chenilles, et j’ai récolté l’individu.

1Pas besoin de loupe pour identifier cette espèce ; en revanche, l’objet est utile pour apprécier la beauté des motifs latéraux de la chenille !

J’ai ramené ma chenille à la maison, toute contente, et l’ai gardée dans sa boîte pour la nuit le temps de lui aménager un espace adéquat. Le lendemain matin, catastrophe… Une myriade de petites larves, qui avaient pris secrètement possession de son corps, grouillaient tout autour d’elle. Ma « pauvre » chenille était parasitée, et condamnée avant même que nos chemins se croisent.

Copie de Copie de Paysage 5(2)Adieu chenille 😥

Je n’ai pas retrouvé cette chenille depuis.


2020 : Rien à l’horizon

Décidément, je n’ai pas de chance avec cette espèce. J’ai croisé tout un tas de jolies chenilles de Lasiocampidés cette année : des poignées de Livrées des arbres, de magnifiques Laineuses et autres Bombyx de l’aubépine… Mais pas la moindre trace de mon petit Bombyx du chêne. Enfin, presque… J’ai bien trouvé une chenille cette année, mais il faut dire qu’elle n’était pas en très grande forme.

Avec le confinement, les sorties naturalistes ont été très limitées cette année, et je n’ai pas pu me rendre sur certains sites riches en chenilles que j’appréciais les années passées.
Mais je garde espoir. 2021 sera la bonne !


2021 : On y est !

Cette année, je me suis motivée pour reprendre sérieusement chenilles.net en main, et pour sortir davantage afin de voir plus de chenilles. Forcément, en sortant plus souvent, je multiplie mes chances de rencontrer cette chenille…

Le 6 avril 2021 à Porcieu (38), je croise la route de cette petite chenille.

Un instant je crois l’avoir perdue car elle tombe au moment où je veux la saisir dans une végétation basse très dense. Il me faut 30 bonnes secondes durant lesquelles je peste « c’est la malédiction du Bombyx du chêne » avant que je ne retrouve sa trace et la prélève pour l’élever à la maison.

Une semaine plus tard, le 14 avril, je trouve une énorme chenille sur le sentier botanique de Charray à Vézeronce (38). Je suis accompagnée d’une amie, qui me fait découvrir le site, et lui propose de prendre en main la chenille.

Elle est magnifique ! Je la ramène à la maison, et l’installe avec ma petite chenille de la semaine passée, qui a mué entre temps. Elles ont à présent les mêmes motifs, mais la différence de taille est saisissante.

Les jours passent et je trouve d’autres chenilles de Bombyx du chêne : une le 5 mai à Porcieu (38), que je ramène à la maison, une autre le 12 mai à Mépieu (38), puis encore deux à Hières-sur-Amby (38) le 25 mai.

Au total, je me retrouve avec 3 chenilles dans ma petite cage d’élevage. Tout se passe bien, jusqu’à ce qu’un matin, en changeant leurs plantes, je constate que la plus grosse chenille est totalement inerte. Horreur : elle est morte. Son contenu est brun et liquide, elle est molle et pendouille lamentablement, comme la chenille en photo plus haut. Je soupçonne un virus (polyédrose nucléaire ?). Dans tous les cas, cela m’inquiète un peu, parce que mes autres chenilles de Bombyx du chêne grandissaient dans la même boîte !

Elles semblent malgré tout continuer leur croissance normalement. Je trouve une autre chenille le 15 juin à Chanizieu (38), que je laisse sur place. Le 30 juin, de retour à Hières, je trouve trois chenilles de Bombyx du chêne mortes, écrasées sur la route. Et quelques jours plus tard au même endroit, une autre morte, sans doute victime d’un virus.

Une autre de mes chenilles meurt, peut-être du même virus que celui qui avait touché la première. La dernière survivante finit par tisser un cocon et se nymphoser : ouf, j’en aurai au moins une ! Mais avec la chance que j’ai eu jusqu’à présent, je parie que ce sera un mâle…

Et puis le 4 juillet, de passage à Charette (38), je trouve un joli Bombyx du chêne immobile au milieu de la route (il a eu de la chance, j’aurais pu lui rouler dessus). Vu que je n’ai pu obtenir qu’une seule chrysalide, et que j’ai une chance sur deux pour que ce soit un mâle, je décide de la ramener à la maison.
Le lendemain, à Hières-sur-Amby (38), je trouve un Bombyx du chêne dans l’eau en train de se noyer.

Je le sors de l’eau et décide de l’emmener avec moi : comme ça, ça me fera 3 chrysalides, si aucune des 2 chenilles n’est parasitée !

Le 6 juillet, mes 2 nouvelles chenilles n’ont pas touché aux feuilles d’églantier que je leur ai proposé, et ont commencé à tisser leur cocon. C’est très bien, les papillons devraient émerger à peu près en même temps ! Allez, on y croit, cette fois-ci c’est la bonne.

En quelques heures, les cocons sont achevés. Ici, ils ont été élaborés en dessous des feuilles mises à disposition des chenilles. Leur forme et leur texture m’évoquent celles d’un petit kiwi miniature – mais attention, ils sont garnis de petits poils aux propriétés légèrement urticantes, qui peuvent valoir à leur manipulateur imprudent des démangeaisons au bout des doigts !

Un mois plus tard, le 8 août au matin, il y a enfin de l’agitation dans la cage qui sert d' »émergeoire » aux papillons. Pour rappel, j’ai à ce moment 3 cocons de Bombyx du chêne : un premier issu d’une chenille récoltée au printemps, et deux autres plus récents issus des deux chenilles « sauvées » en juillet. C’est le papillon issu de la première chenille qui émerge le premier…

 

 

 

 

 

 

La voilà, ma (future) mère bombyx tant attendue ! Je vais enfin pouvoir observer de mes propres yeux les ballets aériens des mâles, décrits par Fabre il y a près d’un siècle et demi. Mais hélas, le 8 août tombe un dimanche où je travaille, et je dois m’absenter toute la journée. C’est Martin, mon compagnon, qui se charge de surveiller la demoiselle.

Lorsque je rentre du travail à 20h, il me raconte que plusieurs mâles sont passés : ils sont entrés dans la maison, et ont tourné autour de la cage de la femelle. Il en a capturé deux, séparés de la femelle, afin que je puisse faire les photos que j’espérais. C’est parfait ! Je prépare mon appareil photo, dispose la femelle sur le mur de la cour, et relâche les mâles qui sont surexcités dans leur cage et ne cessent de battre des ailes. La porte à peine ouverte, ils s’élancent hors de l’enceinte, traversent la cour, et disparaissent dans les cieux, ignorant royalement les appels de la femelle posée sur le mur.
Je suis déconcertée – j’ai attendu ce moment toute la journée, et finalement l’accouplement n’a pas eu lieu. Je n’ai même pas pu photographier un mâle ! Je remets la femelle dans la cage, en espérant qu’un autre mâle se présente. Mais la journée touche à sa fin, et personne ne vient. 

Le lendemain, lundi 9 août, je dispose la femelle dans la cour, et surveille l’arrivée d’un prétendant. Mais il est encore trop tôt, et je dois partir au travail à 13 heures – on réessayera ce soir, et puis dans le pire des cas, comme je ne travaille pas le lendemain, j’aurai toute la journée pour me consacrer à la surveillance de la femelle. 
Par chance, je rentre du travail un peu plus tôt, et il fait encore bien jour. J’installe à nouveau ma femelle dans la cour. Un premier mâle se présente dans la ruelle : il entre dans la cour, volant à toute vitesse, puis repart. Quelques minutes plus tard, un autre individu – ou peut-être le même ? – déboule lui aussi à toute vitesse dans la cour, se cognant aux murs. Il entre dans la maison, puis ressort, et s’approche enfin de la femelle posée sur le mur de la porte d’entrée. 

J’ai tout juste le temps de prendre ces quelques photos floues, et là, c’est le drame. Monsieur Duchêne, bien maladroit, fait tomber Madame au sol. Et au moment où je veux la ramasser, elle s’envole… Je saisis le filet à papillons accroché au porte-manteau dans l’entrée et la poursuis dans la ruelle. Mince alors ! J’avais toujours lu que les femelles restaient bien sages jusqu’à l’accouplement, et ne s’envolaient qu’une fois celui-ci terminé, pour aller pondre leurs œufs. Me voilà bien embarrassée, à lui courir après pieds nus dans la rue… Elle entre chez les voisins, ressort. J’agite mon filet, la manque de peu, et la vois s’envoler haut, très haut, par dessus les toitures des maisons. Voilà maintenant que le rouge-queue du quartier, qui a installé son nid juste en face de chez nous, se met à sa poursuite également. Malheur ! C’est le même rouge-queue qui a mangé, quelques semaines plus tôt, plusieurs Grandes tortues et Lichenées fraîchement émergées que je tentais de photographier dans la cour. Heureusement, il ne parvient pas à l’attraper, ou se décourage peut-être, et elle s’installe sur le mur d’une maison voisine. Très haut, bien trop haut pour que je puisse l’atteindre. Alors je rentre à la maison, dépitée, observant le spectacle de très loin, en priant pour que les deux cocons restant me donnent au moins une femelle. 

Les semaines passent, et les émergences se font attendre. 

Au début du mois de septembre, constatant que mes deux cocons sont toujours intacts, je me décide finalement à en ouvrir un pour voir si tout va bien. Je pouvais toujours attendre ! Ce n’est pas une chrysalide que je trouve à l’intérieur du cocon, mais une vieille chenille morte, toute desséchée et couverte d’une poudre blanche. Peut-être s’agissait-il de la chenille qui avait subi un séjour prolongé dans l’eau quelques jours avant la nymphose, et que cet excès d’humidité a favorisé le développement de champignons ? Dépitée, j’ouvre quand même le second cocon pour voir… Et sans surprise, j’y trouve une chrysalide morte, elle aussi toute desséchée et couverte de poudre blanche. 

La malédiction du Bombyx du chêne m’a encore suivie, en cette année 2021. Je n’ai pas pu faire de belles photos de mâle ou d’accouplement, comme je l’espérais. Mais c’est déjà bien mieux que les années précédentes. Alors, je le redis… l’année suivante sera la bonne ! 


1 Voir Le minime à bande jaune.