On peut dire que le Bombyx cul-brun (Euproctis chrysorrhoea) n’a pas grand chose pour lui. Son nom vernaculaire pour commencer est peu flatteur, faisant référence à la coloration des poils abdominaux des imagos ; son nom latin, guère plus agréable à l’oreille, est tout juste prononçable. On pourrait, à la rigueur, trouver une certaine beauté dans les motifs et les couleurs du corps de cette chenille, et prendre le temps de s’extasier devant elle… si ses poils n’étaient pas urticants ! Pour couronner le tout, le Cul-brun est doté, comme toute chenille, d’un fort appétit, qui peut mettre à mal le feuillage des arbres les années ou l’espèce, très commune, pullule. Tant et si bien que c’est en réponse aux dégâts qu’elle peut causer que la première loi française sur l’échenillage obligatoire fut adoptée, en 1796.
Cette chenille mérite toutefois que l’on s’intéresse à elle, et je vais tenter dans cet article de vous la rendre plus sympathique. Je vous l’accorde, c’est mal parti !
Reconnaître le Bombyx cul-brun
La couleur et les motifs de la chenille peuvent varier au cours de son développement, mais les deux taches rouges sont une constante qui permet d’identifier (presque) à coup sûr cette espèce.
Confusions possibles. Une autre chenille du même genre, le Bombyx cul-doré (Euproctis similis) peut parfois, selon la coloration des individus, lui ressembler ; mais cette dernière est globalement plus sombre, possède en général deux fines lignes dorsales, et ses points rouges sont moins visibles. On peut également confondre la chenille du Bombyx cul-brun avec celle de la Noctuelle de la patience. Le visuel ci-contre peut vous aider à différencier ces trois espèces (cliquez pour l’afficher en grand).
Cycle de vie
C’est au cours de l’été que la femelle du Bombyx cul-brun dépose ses œufs sur les branches des arbres. Madame Cul-brun est une mère attentionnée : elle prend soin de recouvrir les œufs fraîchement pondus d’une petite couverture protectrice, constituée des poils de son abdomen qu’elle arrache à l’aide de deux petites pinces situées à son extrémité.
Trois semaines plus tard, les petites chenilles sortent de leur œuf. À ce moment de l’année, les arbres sont encore couverts de feuilles : elles en choisissent une, à la base de laquelle elles tissent de solides liens de soie qui lui permettront de rester accrochée à l’arbre tout l’hiver durant. Dans cette feuille, elles ne tardent pas à tisser une petite poche de soie très solide, dans laquelle elles se regroupent à l’automne. Elles s’y confinent durant toute la mauvaise saison, et n’en sortent pas avant le printemps suivant.
Aux premiers rayons de soleil de mars, les jeunes chenilles quittent timidement leur repaire pour se nourrir des premiers bourgeons à peine débourrés. Elles grandissent rapidement, continuant à vivre en société durant les premiers stades, puis se dispersent dans la végétation environnante. Lorsqu’elles ont atteint le terme de leur développement larvaire, elles tissent dans la végétation ou au sol un cocon de soie assez fin auquel elles mêlent quelques poils urticants, et se nymphosent à l’intérieur. Les papillons émergent au mois de juillet.
Plantes-hôtes
La chenille du Bombyx cul-brun est très polyphage. On la rencontre dans les arbres fruitiers : Pommiers (Malus), Poiriers (Pyrus), Pruniers et autres Prunus, mais aussi sur les Aubépines (Crataegus) et les Prunelliers, les Ormes (Ulmus), les Saules (Salix), le Hêtre (Fagus sylvatica), le Noisetier (Corylus avellana), l’Arbousier (Arbutus unedo), le Charme (Carpinus betulus), les Ronces (Rubus)…
Comment rencontrer cette chenille ?
On trouve très facilement les nids contenant les chenilles du Bombyx cul-brun en hiver et au début du printemps, lorsque les arbres n’ont pas de feuilles : il faut chercher une feuille solitaire, desséchée et retenue à sa branche par des fils de soie tissés par les chenilles.
Lorsque le printemps est bien avancé, les nids volumineux peuvent eux-aussi être facilement observés : généralement, la végétation autour du nid est également bien grignotée.
Les chenilles matures isolées peuvent être rencontrées à la fin du printemps lorsqu’elles partent à la recherche d’un endroit pour installer leur cocon de soie.
Étymologie
Je n’ai pas trouvé de source fiable sur l’origine du genre Euproctis, mais il y a fort à parier que ce nom soit relatif au fondement de l’insecte, le mot latin proctitis désignant une inflammation du rectum et de l’anus (décidément, notre pauvre chenille aura un nom disgracieux jusqu’au bout…).
Quant à l’épithète chrysorrhoea, il vient du grec χρυσός (khrysós) qui signifie « or », et ῥέω (rhéô) qui signifie « couler ». En latin, Euproctis chrysorrhoea est donc un papillon qui coule de l’or par son séant (je tente de tourner ça joliment, vous conviendrez que ce n’est pas facile). Tout cela en référence à la bourre de poils orangés que la femelle adulte utilise pour recouvrir et protéger ses œufs.
Petite parenthèse pour compliquer un peu l’affaire, le Bombyx cul-brun était autrefois nommé Euproctis phaeorrhaea, alors que son proche cousin le Bombyx cul-doré portait alors le nom de Porthesia chrysorrhoea. Son ancien nom n’était même pas relatif à la couleur brune, mais à la couleur grise, phaeorrhaea venant du grec φαιός (phaiós) signifiant « gris ». C’était tout logiquement le Bombyx cul-doré qui portait l’épithète chrysorrhoea. Cette espèce est aujourd’hui nommée Euproctis similis, en référence à sa similarité avec son cousin au derrière brun.
Moyens de défense, prédateurs et parasites
La forte pilosité de cette chenille, et son caractère urticant, suffisent à dissuader la plupart des oiseaux insectivores de la consommer. En revanche, les insectes parasitoïdes sont guère incommodées par ses poils, et n’hésitent pas à déposer leurs œufs dans les jeunes chenilles. Ci-dessous, la vidéo d’André Lequet (qui a d’ailleurs consacré une page à cette espèce – vous la retrouverez dans la bibliographie plus bas) montre une mouche tachinaire en train de pondre sur de jeunes chenilles de Bombyx cul-brun avec son impressionnant ovipositeur. Face à un ennemi aussi agile, la seule solution pour les petites chenilles est de se jeter dans le vide, tout en restant suspendues par un fil de soie.
Une chenille dangereuse ?
La chenille du Bombyx cul-brun est réputée urticante, et il vaut mieux éviter de la manipuler à mains nues. Je l’ai déjà manipulée sans précautions à plusieurs reprises, ignorant sa réputation urticante, et je n’ai pas eu de problèmes par la suite ; mais je suppose qu’il ne faut pas la presser ou la prendre en main de forces. Il reste possible de les déplacer manuellement en utilisant une branche ou une feuille. Le cocon tissé par la chenille avant sa nymphose, garni de soies, est lui aussi urticant.
Galerie photos
Bibliographie
- D. J. Carter, B. Hargreaves, Guide des chenilles d’Europe, Delachaux et Niestlé
- J-F. Aubert, Papillons d’Europe I, Delachaux et Niestlé
- B. Henwood, P. Sterling, R. Lewington, Field Guide to the Caterpillars of Great Britain and Ireland, Bloomsbury Wildlife Guides
- H. Bellmann, Quel est ce papillon ?, Nathan
- A. Lequet, Biologie et développement du Bombyx cul-brun
- Bestimmungshilfe für die in Europa nachgewiesenen Schmetterlingsarten : Euproctis chrysorrhoea
- Lepidoptera and their ecology : Euproctis chrysorrhoea
- Moths and Butterflies of Europe and North Africa : Euproctis chrysorrhoea
- Lépinet : Euproctis chrysorrhoea
- Artemisiae, le portail dynamique national sur les papillons de France : Euproctis chrysorrhoea
Dernière mise à jour de la page : août 2021