Rando-chenilles à Saint-Pons en Ardèche

Ce dimanche 1er mai, avec Martin, nous sommes allés en Ardèche pour refaire une randonnée que nous avions réalisée l’an passé, le 25 avril 2021.

Sur le site Visorando, la randonnée s’appelle Roche Chérie à Saint-Pons. C’est un itinéraire d’environ 10,5 km, avec un dénivelé positif de moins de 350 mètres. Une « petite » rando en somme, mais il ne nous en fallait pas plus, parce que nous savions que nous allions marcher très lentement et nous arrêter fréquemment pour observer des plantes et des chenilles.

Cette fois-ci nous décidons de faire la randonnée à l’envers, en partant tout de même du point de départ : l’année précédente, nous avions rencontré une grosse difficulté au niveau du point 5, et nous espérions nous en sortir un peu mieux dans l’autre sens. Vous allez voir, ce ne fut pas vraiment le cas !

Objectifs du jour : tenter de retrouver la Brune du pissenlit (Lemonia dumi), que j’avais observée l’année précédente lors de cette randonnée. J’espère aussi revoir l’Ecaille tesselée (Cymbalophora pudica), la Franconienne (Malacosoma franconica) et puis pourquoi pas des Zygènules (Heterogynis sp.), déjà observées aussi à cet endroit, mais que je n’avais pas eu le temps de photographier suffisamment à mon goût.

Nous arrivons au départ de la randonnée vers 8 heures et commençons à monter vers le hameau de Roche Chérie. Un de mes souhaits est rapidement exaucé en traversant un chemin bordé de Genêts scorpions (Genista scorpius).

Voici donc les Zygènules (Heterogynis sp.). On pourrait supposer qu’il s’agit de la Zygènule des genêts (H. penella), mais il n’est pas évident de distinguer les espèces au sein de ce genre, et d’ailleurs les espèces elles-mêmes ne sont pas clairement définies. Si j’ai bien compris, chez les Zygènules, il est davantage question d’ensemble de populations que d’espèces distinctes. Je m’en tiens donc à : Heterogynis sp.

insectes.jpgLes Zygènules sont extraordinaires. Si vous ne connaissez pas leur mode de vie, je vous invite à le découvrir en lisant le numéro 203 de la revue Insectes paru en décembre dernier, dans lequel j’ai eu la chance d’écrire un article sur le sujet intitulé Le petit déjeuner des Zygènules. Et si vous n’êtes pas encore abonné(e) à la revue, voici un petit résumé.
Au stade adulte, la femelle Zygènule des genêts ressemble à tout sauf à un papillon. C’est une créature boudinée, semblable à une grosse larve et dépourvue d’ailes ou d’antennes. C’est tout juste si elle a des pattes, car ces dernières ne sont pas très fonctionnelles et ne lui permettent que de se hisser péniblement au sommet de son cocon, après l’émergence, pour appeler un mâle. Après l’accouplement, elle retourne dans le cocon qu’elle avait tissé lorsqu’elle était chenille, et dépose ses œufs à l’intérieur. Je ne vous en dis pas plus, pour vous laisser un peu de surprise, mais le titre de l’article devrait vous mettre la puce à l’oreille concernant le comportement surprenant des chenilles à la naissance…

Pendant que je photographie mes Zygènules, Martin observe des orchidées au bord du chemin. Il y a de magnifiques Ophrys jaunes (Ophrys lutea), ainsi que des Ophrys bourdons (Ophrys fuciflora) que je ne prends même pas le temps de photographier, trop occupée avec mes chenilles (je le regrette à présent !).

Plus loin sur le chemin, nous trouvons de nombreuses toiles dans un Cerisier de Sainte-Lucie (Prunus mahaleb). Ce sont des Hyponomeutes, pas trop de doute là-dessus, mais lesquelles ? Je ne me suis jamais trop penchée sur leur identification, mais je sais qu’il existe une Hyponomeute du faux-merisier (Yponomeuta mahalebella) – cela dit, peut-être qu’elle n’est pas la seule à se développer sur cet arbre. Si vous en savez plus à ce sujet, je voudrais bien savoir.

Et puis au bord du chemin, nous faisons une belle rencontre à laquelle je ne m’attendais pas. En observant une Aristoloche à feuilles rondes (Aristolochia rotunda), je remarque une minuscule chenille sombre sur une fleur. Tiens donc, l’Aristoloche, c’est justement la plante-hôte d’un papillon emblématique du Sud : la Diane (Zerynthia polyxena).

C’est ma première rencontre avec cette espèce, et je n’ai pas encore eu la chance d’observer le papillon. La chenille en tout cas est très mignonne : elle utilise les fleurs d’Aristoloche comme cachette. Sur les deux premières photos, en regardant attentivement, vous verrez qu’il y a deux chenilles : l’une sur la fleur, l’autre à l’intérieur. Au total, nous observons 5 ou 6 individus, tous plutôt jeunes.

Un peu plus loin, je m’arrête pour observer une chenille de Double-Oméga (Diloba caerulocephala) suspendue dans le vide, et Martin remarque pendant ce temps un groupe de chenilles dans un Orme champêtre (Ulmus minor). Ce sont des Grandes tortues (Nymphalis polychloros). C’est la première fois que j’observe la Vanesse de l’Orme sur cette plante hôte !

Encore un peu plus loin, en arrivant sur la route qui mène au hameau de Roche-Chérie, nous trouvons une chenille d’écaille qui traverse la route. Je l’identifie comme une Ecaille striée (Spiris striata), une petite nouveauté pour moi. Nous trouvons deux autres individus plus loin sur cette route, que nous déposons sur le bas côté pour leur éviter de se faire écraser.

A partir du hameau, comme on s’en doutait, la randonnée se complique. L’année précédente, nous nous étions totalement perdus à partir du point 5, jusqu’au tiers environ de la distance avec le point 6. Nous espérons que ce sera plus simple dans l’autre sens, mais ce n’est pas le cas : même en suivant scrupuleusement notre progression grâce au GPS, ce n’est pas évident. Les chemins sont mal tracés, on se retrouve soudain au carrefour de 3 chemins qui mènent vers 3 ronciers différents, et il faut choisir celui qui nous semble le moins effacé… Nous traversons péniblement plusieurs fourrés de Prunelliers aux épines acérées, et de Ronces mortes (encore plus redoutables que lorsqu’elles sont vivantes !), pour arriver finalement en bas de la petite falaise qui nous avait posé problème la fois précédente. Comme nous n’avions pas trouvé le chemin, nous avions dû l’escalader, ce qui était honnêtement assez périlleux.

Vu d’en bas, ça a l’air plutôt facile, mais vu d’en haut c’est autre chose. Nous devons à nouveau escalader pour retrouver le tracé de la randonnée. Durant l’escalade, je me retrouve nez à nez avec une chenille tachetée sur une Lunetière de Lamotte (Biscutella lima) : c’est une Aurore de Provence (Anthocharis euphenoides). J’avais cherché cette chenille en vain l’an passé, et voilà qu’elle se présente à moi au pire moment ! Tant pis, ce serait trop dangereux de m’arrêter maintenant pour sortir l’appareil photo. Je continue l’escalade prudemment.

Arrivés en haut, nous sommes soulagés d’avoir franchi l’étape la plus difficile. Il est déjà midi et demi, alors nous prenons une pause déjeuner bien méritée près d’une petite source. Martin remarque un petit papillon de nuit posé sur un pâturin. Très mimétique, il porte bien son nom : c’est une Petite feuille morte (Phyllodesma tremulifolia) !

Nous poursuivons ensuite notre chemin en direction des pâturages dans lesquels nous avions observé, l’an passé, de nombreuses chenilles de Franconiennes. Arrivés en haut, nous n’en trouvons pas. Nous marchons plusieurs kilomètres sans nous arrêter, ce n’est pas la partie la plus intéressante de la randonnée. Nous sommes pressés d’arriver dans les prairies où nous avions trouvé de nombreuses chenilles la fois précédente.

Il est 14h30 quand nous arrivons sur la première prairie. Je suis surprise de trouver un très grand nombre de colonies de Laineuse du cerisier (Eriogaster lanestris) : jamais je n’en avais vu autant ! Je n’ai pas compté, mais nous avons dû voir une bonne trentaine de nids au total. Nous faisons plusieurs observations intéressantes.

La plupart des nids sont situés dans des Prunelliers ou des Aubépines de petite taille, et arrivent tout juste au dessus de mes genoux. Je suis surprise de trouver 3 nids situés les uns à côté des autres.

La Laineuse du cerisier n’est pas la seule Laineuse à fréquenter cette prairie : on y trouve aussi sa cousine plus rare et protégée, la Laineuse du prunellier (Eriogaster catax). Comme elle est plus précoce, à cette période de l’année, les chenilles ont déjà quitté le nid et on les rencontre isolément, dispersées dans la végétation basse. Nous en trouvons beaucoup, parfois à côté des nids de Laineuses du cerisier.

Et puis je remarque ces deux nids côte à côte, que j’identifie comme un nid de Laineuse du cerisier (à gauche) et de Laineuse du prunellier (à droite). Pour le premier, c’est plutôt simple, les chenilles sont encore visibles. Pour le second, les chenilles ont quitté le nid, mais des exuvies sont encore présentes.

Comment différencier un nid de Laineuse du cerisier (E. lanestris) d’un nid de Laineuse du prunellier (E. catax), si les chenilles ne sont pas bien visibles ? Il y a plusieurs critères, mais ils ne sont pas tous vérifiables ici…

  • Tout d’abord, le critère phénologique évoqué plus haut.
    •  E. catax se développe un plus tôt : les imagos émergent à l’automne, la ponte hiverne, et les chenilles naissent dès le mois de mars.
    • E. lanestris se développe un peu plus tard : les imagos émergent au printemps, la ponte n’hiverne donc pas, et les chenilles naissent plutôt au mois d’avril.
    • Par conséquent, début mai, les chenilles d’E. catax ont déjà quitté le nid ; celles d’E. lanestris sont en revanche encore bien visibles dans le nid.
  • Ensuite, la ponte. Les femelles Laineuses recouvrent leurs pontes de poils abdominaux. Normalement, la ponte d’E. catax est visible même après l’éclosion, parce que les chenilles s’en éloignent pour tisser leur nid ; en revanche, celles d’E. lanestris ont plutôt tendance à tisser leur toile directement à l’emplacement de la ponte, ce qui la rend difficilement visible.
    Manque de chance, ici c’est l’inverse… Je trouve très rapidement la ponte d’E. lanestris, mais pas celle d’E. catax. On peut néanmoins les reconnaître à leur aspect : la première a des poils plutôt frisotés, un peu désordonnés, de couleur grise ; la seconde a des poils plus longs, plutôt lisses, de couleur brune et grise.
    Du coup, le critère de la visibilité de la ponte ne semble pas valable à tous les coups… Cela dit, d’habitude il fonctionne plutôt bien, parce que je trouve souvent des pontes d’E. catax, mais c’est la première fois que j’en voyais une d’E. lanestris !
  • Enfin, les exuvies. Ce sont les « enveloppes » de peau dont les chenilles se débarrassent après chaque mue. Je ne sais pas si c’est vraiment un critère, parce que je ne l’ai jamais vu écrit nulle part, mais j’ai l’impression qu’il n’y a que les chenilles d’E. catax qui abandonnent leurs exuvies sur le nid. Celles d’E. lanestris ont plutôt tendance à les laisser à l’intérieur. En tout cas, tous les nids d’E. lanestris que j’ai observé jusqu’à présent étaient très propres et dépourvus d’exuvies, alors que ceux d’E. catax en avaient toujours.

Si vous connaissez d’autres critères, ou si ce que je viens d’énoncer vous semble incorrect ou imprécis, n’hésitez pas à me le signaler en commentaire !

Dernière curiosité relative aux Laineuses, je trouve sur le même petit arbuste (Aubépine ou Prunellier je ne sais plus), un nid de Laineuses du cerisier et un « nid » de Gazés (Aporia crataegi). Plus loin, une chenille de Gazé parasitée.

J’adore les chenilles grégaires, alors forcément, je trouve mon bonheur dans cette prairie. En plus des deux espèces de Laineuses et des Gazés, je trouve des Hyponomeutes et des Franconiennes (Malacosoma franconica). Elles sont magnifiques. L’année dernière, c’est précisément pour voir cette espèce que nous nous étions rendus sur ce site.

Près d’un groupe de Franconiennes, je trouve une ponte typique de Livrées (Malacosoma), en forme de bague autour d’une brindille. C’est la seule espèce de Livrée que trouve dans cette prairie, alors j’en déduis que c’est leur ponte.

Dans l’herbe à côté d’un groupe de Franconiennes, je trouve une adorable chenille de Satyrinae. Elle est trop mignonne avec ses rayures, on dirait qu’elle porte un pyjama ! Peut-être la chenille du Silène (Brintesia circe) ?

Dans une Centaurée à proximité, Martin trouve une chenille de Mélitée. Peut-être la Mélitée des centaurées (Melitaea phoebe) – mais ce serait trop facile ! Ou bien une autre espèce proche.
Enfin, en sortant de la prairie, je trouve une grosse chenille arpenteuse. Je l’identifie comme une Crocalle commune, aussi appelée Phalène de la Mancienne (Crocallis elinguaria). Une chenille que j’avais déjà croisée et tenté d’élever l’année dernière, mais qui était parasitée ! Celle-là, je la laisse sur place.

Nous traversons encore quelques prairies à la recherche de la Brune du pissenlit (Lemonia dumi), mais les Pissenlits sont un peu défraichis et difficiles à repérer. Chaque fois que je repère une grosse chenille sombre, déception : ce n’est qu’une Laineuse du prunellier. J’en viens presque à me lasser de cette espèce si commune ici, mais si rare ailleurs !

Un peu fatigués, et comme nous avons encore 3 heures de route à faire avant de rentrer à la maison, nous finissons par abandonner et reprenons le chemin de la randonnée. Nous faisons tout de même un petit arrêt en chemin pour photographier les chenilles de l’Aurore de Provence (Anthocharis euphenoides), sur une station très fournie en Biscutelles.

Bilan de cette randonnée : nous n’avons pas retrouvé la Brune du pissenlit, ni l’Ecaille tesselée, mais j’ai pu observer de nouvelles espèces tout de même, comme la Diane, l’Ecaille striée, l’Aurore de Provence et la Petite feuille morte. Nous rentrons à la maison chargés de belles images : des photos de nouvelles chenilles pour moi, et de nouvelles plantes pour Martin. C’est la dernière fois que nous faisons cette randonnée, mais nous retournerons peut-être sur ce secteur plus tard. L’Ardèche est une région magnifique que j’aimerais avoir l’occasion d’explorer davantage !

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