Le Gazé, ou Piéride de l’aubépine (Aporia crataegi), est un papillon blanc aux ailes nervurées de noir. Il était autrefois si commun en France qu’on le considérait comme nuisible, car ses chenilles pouvaient faire des dégâts dans les vergers en consommant les feuilles des arbres fruitiers. Mais cette espèce a depuis connu un fort déclin, et n’a plus été observée dans certains départements de France depuis des années. La destruction des haies bocagères au profit des grandes zones de monoculture, et l’utilisation de pesticides de synthèse auraient largement contribué à sa raréfaction. Cette espèce est malgré tout encore commune dans certaines régions de France.
Reconnaître le Gazé
Les chenilles du Gazé, grégaires aux premiers stades larvaires, sont parfois confondues avec les chenilles processionnaires. Elles n’ont pourtant pas grand chose à voir avec ces dernières, et sont totalement inoffensives, dépourvues de poils urticants.
On reconnaît les chenilles de cette espèce à leur dessous gris clair et à leur dessus noir et orangé. Les jeunes chenilles vivent en groupe dans une toile de soie tissée sur les branches de leur arbre-hôte.
Cycle de vie
C’est à la fin du printemps et en été que la femelle du Gazé dépose côte à côte une trentaine d’œufs sur le revers des feuilles de petits arbustes, ne dépassant généralement pas 1 mètre 50 de haut. De couleur jaune pâle à jaune vif, ils sont oblongs, légèrement pointus à leur extrémité, et munis d’une quinzaine de côtes.
Environ 2 à 3 semaines après avoir été pondus, les œufs éclosent. Les jeunes chenilles en consomment le chorion (l’enveloppe), puis se construisent un petit abri collectif au dessus d’une feuille en tissant une toile de soie plate sous laquelle elles se réfugient. Leur croissance s’arrête à la mauvaise saison, et les chenilles hivernent dans leur abri de soie. Elles se réveillent au début du printemps pour grignoter les premiers bourgeons, regagnant rapidement leur nid pour s’y réchauffer lorsqu’il fait froid. Elles achèvent généralement leur croissance entre la mi-avril et la mi-mai : on les repère alors facilement sur les jeunes arbustes lorsqu’elles prennent le soleil, bien exposées. Au moment de la nymphose, elles se dispersent dans les environs et s’attachent à la tige d’une graminée ou d’un arbuste pour se nymphoser.
Ce très beau documentaire de Filming Varwild met à l’honneur le Gazé, de la chenille au papillon :
Plantes-hôtes
Le Gazé se développe sur les arbustes de la famille des Rosacées : Aubépines (Crataegus), Prunellier (Prunus spinosa), Amélanchier (Amelanchier ovalis), Poirier sauvage (Pyrus pyraster), Cotonéaster sauvage (Cotoneaster integerrimus), Bois de Sainte-Lucie (Prunus mahaleb), Sorbiers (Sorbus)… Les Rosacées cultivées sont également appréciées : Pommiers (Malus), Poiriers (Pyrus), Prunier (Prunus domestica), Pêcher (Prunus persica), Abricotier (Prunus armeniaca), Amandier (Prunus dulcis)…
Répartition et habitat
L’aire de répartition du Gazé s’étend de l’Afrique du Nord au Japon, traversant une grande partie de l’Europe. Autrefois présent partout en France, il semble avoir disparu de certaines régions, les dernières observations dans le Nord, le Pas-de-Calais, la Somme, l’Oise ou la Seine-Maritime datant de plusieurs décennies, voire du début du 20ème siècle. L’espèce est éteinte des îles Britanniques depuis les années 1920.
Les raisons de son déclin sont l’intensification des pratiques agricoles, la raréfaction des paysages bocagers (ses milieux de prédilection) au profit des monocultures, l’arrachage des haies et l’utilisation de produits phytosanitaires, notamment insecticides.
Étymologie
Le Gazé porte le nom scientifique Aporia crataegi. Le nom de genre Aporia, dont il est le seul représentant, vient du grec ancien aporos (ἄπορος), formé du mot póros (πόρος) signifiant « passage » et du préfixe a- signifiant « pas » ou « sans ». Ce nom ferait référence à la difficulté d’un passage, ou à son étroitesse. Dans son article Zoonymie du papillon Le Gazé, Jean-Yves Cordier donne des informations et des théories très intéressantes sur l’origine et la signification de ce nom. L’hypothèse que je retiens est que ce nom fait référence à la pauvreté des écailles des ailes du papillon, dont l’absence permet parfois d’y voir à travers. En découvrant l’origine de ce nom, je m’attendais cela dit à ce qu’il fasse référence à la finesse des lignes noires que l’on voit sur les ailes, qui formerait des routes étroites et difficiles à suivre !
Quant au nom d’espèce, il est bien plus simple à comprendre : crataegi se réfère à l’Aubépine, crataegus en latin, une plante-hôte très appréciée par cette espèce.
Moyens de défense, prédateurs et parasites
Le Gazé n’est pas en manque de prédateurs, et le simple fait de passer l’hiver à l’état de chenille peut se révéler périlleux. Dans La vie des papillons (éditions Diathéo), Tristan Lafranchis indique : Au cours de l’hiver, jusqu’à 80% des chenilles sont consommées par les passereaux, surtout par des mésanges. Lorsqu’elles sortent de leur léthargie hivernale, elles peuvent être prédatées par divers arthropodes comme les punaises prédatrices ou les araignées.
Les ennemis les plus redoutables des chenilles du Gazé sont les mouches et guêpes parasitoïdes, qui pondent sur ou dans les chenilles.
Du côté des Diptères (mouches), plusieurs espèces du genre Phryxe comme Phryxe nemea ou P. vulgaris peuvent déposer leurs œufs dans les chenilles du Gazé grâce à leur ovipositeur. Du côté des Hyménoptères, les Ichneumons, guêpes de taille moyenne aux longues antennes et aux pattes généralement assez longues, sont des parasitoïdes redoutables de chenilles. Plusieurs espèces comme Gelis areator, Hyposoter ebeninus, Gregopimpla inquisitor ou encore diverses espèces des genres Pimpla et Apechthis sont mentionnés comme parasitoïdes du Gazé. Dans tous les cas, les œufs du parasitoïde éclosent à l’intérieur de la chenille, et les larves naissantes se nourrissent de son contenu, en évitant les organes vitaux pour maintenir leur hôte en vie le plus longtemps possible. La mort est toujours la seule issue pour les chenilles, et elle intervient généralement peu de temps après que les intrus aient quitté son corps.
D’autres guêpes généralement plus petites, les Braconidés, peuvent aussi parasiter notre chenille ; parmi elles Microplitis mediator, Cotesia tibialis ou C. glomerata. Leur mode opératoire est relativement intéressant : une fois leur développement terminé, les larves sortent de la chenille qui ne meurt pas immédiatement. Elles tissent un amas de petits cocons individuels à côté de sa dépouille (photo ci-contre), dans lesquels elles se transforment en nymphe, stade intermédiaire entre la larve et l’adulte. Durant cette période, les nymphes du parasitoïde sont vulnérables, et susceptibles d’être à leur tour parasitées par des guêpes hyperparasitoïdes (et oui, c’est possible !). Encore vivante, mais proche de la mort, la chenille parasitée et partiellement vidée de son contenu se défend encore lorsqu’on l’approche. Demeurant immobile auprès des cocons de ses meurtriers, elle les protège involontairement contre les autres insectes qui voudraient s’en approcher.
Toutes les espèces de mouches et de guêpes citées sont très généralistes, et parasitent tout aussi bien des dizaines d’autres espèces de Lépidoptères. La guêpe Cotesia glomerata montre cependant une préférence pour les chenilles de Piéridés, et est à ce titre considérée comme une bonne auxiliaire de lutte contre la Piéride du chou (Pieris brassicae).
Une chenille dangereuse ?
Bien qu’elle soit couverte de poils, cette chenille n’est pas du tout urticante et ne présente aucun danger pour l’homme ou pour les animaux domestiques.
La femelle du Gazé a tendance à pondre sur des arbres assez jeunes, ne dépassant souvent pas 2 mètres de hauteur. Elles peuvent faire quelques dégâts en consommant les bourgeons des feuilles au début du printemps. Si vous trouvez un groupe de chenilles de Gazé sur l’un de vos arbres fruitiers et que vous souhaitez le préserver, vous pouvez les déplacer sur une Aubépine ou un Prunellier.
Galerie photos (Cliquez sur les photos pour les afficher en grand !)
Bibliographie
- D. J. Carter, B. Hargreaves, Guide des chenilles d’Europe, Delachaux et Niestlé
- J-F. Aubert, Papillons d’Europe I, Delachaux et Niestlé
- B. Henwood, P. Sterling, R. Lewington, Field Guide to the Caterpillars of Great Britain and Ireland, Bloomsbury Wildlife Guides
- H. Bellmann, Quel est ce papillon ?, Nathan
- T. Lafranchis, D. Jutzeler, J-Y. Guillosson, P. & B. Kan, La vie des Papillons, Écologie, Biologie et Comportement des Rhopalocères de France, Diathéo, 2015
- A. Lequet, Biologie et développement du Gazé,
- Bestimmungshilfe für die in Europa nachgewiesenen Schmetterlingsarten (Lepiforum) : Aporia crataegi
- Lepidoptera and their ecology : Aporia crataegi
- Moths and Butterflies of Europe and North Africa : Aporia crataegi
- Lépinet : Aporia crataegi
- Artemisiae, le portail dynamique national sur les papillons de France : Aporia crataegi
- The Ecology of Commanster, Ecological Relationships Among More Than 7700 Species : Aporia crataegi
Dernière mise à jour de la page : juillet 2021