Quelques conseils pour favoriser la présence de papillons au jardin

Cet article devait à l’origine traiter de la biodiversité au jardin en général, mais j’ai pensé qu’il serait plus pertinent, vu l’intitulé du site, de le focaliser sur les Lépidoptères. D’une part, vous pourrez trouver sur bien d’autres sites des conseils pour attirer les insectes « auxiliaires » au jardin, ou pour créer des abris à insectes. Et d’autre part… j’ai constaté que beaucoup d’articles pour attirer les papillons au jardin donnaient de mauvais conseils, ou bien n’étaient pas du tout adaptés à la faune française car bêtement traduits de l’anglais…

Voici donc 3 petits conseils pour favoriser la présence des papillons (et, bien évidemment, de leurs chenilles !) dans votre jardin, ou même à l’échelle d’un balcon.

1. Bien choisir les plantes

Avant toute chose : privilégier les espèces indigènes

On dit d’une plante qu’elle est indigène lorsqu’elle pousse dans son aire de répartition, et exogène lorsqu’elle pousse en dehors de son aire de répartition. Par exemple, en France, le Séneçon de Jacob (Jacobaea vulgaris) est indigène : son aire de répartition est eurasiatique ; en revanche, le Séneçon du Cap (Senecio inaequidens) est exogène : son aire de répartition est sud-africaine.
Dans certains cas, l’introduction de plantes en dehors de leur aire de répartition peut bouleverser le fonctionnement des écosystèmes et menacer la biodiversité locale : on parle alors d’espèce exotique envahissante (cela s’applique également aux espèces animales). C’est le cas des renouées asiatiques (Reynoutria spp.), du Raisin d’Amérique (Phytolacca americana), de la Balsamine de l’Himalaya (Impatiens glandulifera), et du Buddleia de David (Buddleia davidii) sur lequel je reviendrai plus tard.
Dans d’autres cas, l’introduction de ces plantes ne pose pas de problème : elles se reproduisent difficilement et n’ont pas d’incidence sur les écosystèmes.

Vous l’aurez compris, les plantes du premier groupe sont à éviter à tout prix dans un jardin. Celles qui sont classées dans les espèces exotiques envahissantes (ou « EEE ») voient généralement leur commerce interdit (vous ne trouverez pas de Renouée du Japon en jardinerie), mais il est souvent possible de se les procurer par internet – méfiance donc avec les achats en ligne !

Mais revenons à nos papillons. L’un des problèmes des EEE en général, c’est qu’elles n’ont pas, ou qu’elles ont moins de prédateurs dans l’aire où elles ont été introduites que dans leur aire de répartition d’origine. En prenant le problème dans l’autre sens, on comprend que ces plantes ont généralement une utilité moindre pour les insectes de nos régions, qui les consomment moins voire pas du tout. Et dans le cas des papillons, dont les larves (chenilles) ont des préférences précises en terme de plantes-hôtes, les plantes exotiques sont souvent inintéressantes, ou prennent la place de plantes qui auraient pu les nourrir.

Petite précision : j’oriente évidemment mon article dans l’intérêt des Lépidoptères, mais je ne nie pas pour autant l’intérêt esthétique d’un jardin. Ce n’est pas parce qu’une plante est exotique qu’elle n’a pas sa place dans un jardin, elle aura peut-être juste moins d’intérêt pour les insectes. Par exemple, les glycines (Wisteria) sont des plantes grimpantes d’origine asiatique, mais elles ne sont pas envahissantes et sont parfois appréciées par les oiseaux qui y installent leur nid.

Des plantes à fleurs pour les papillons

Les plantes à fleurs sont susceptibles d’attirer les papillons « de jour » (Rhopalocères) et certains papillons « de nuit » (Hétérocères) qui se nourrissent au stade adulte, comme certains Sphinx ou certaines noctuelles.
Parmi les plantes indigènes, on peut citer les Cirses (Cirsium), les Lavandes (Lavandula), les plantes de la familles des Apiacées (ou Ombellifères), le Lierre (Hedera helix), l’Origan (Origanum vulgare) [que butine, ci-contre, un Sylvain azuré], la Bourrache (Borago officinalis), les Scabieuses (Scabiosa) Mais dans les faits, presque toutes les plantes à fleurs vont attirer les papillons. Vous l’aurez compris, il est autant question de laisser pousser les plantes que d’en planter pour attirer les papillons !

Des plantes-hôtes pour les chenilles

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Certaines plantes peuvent nourrir plusieurs espèces de lépidoptères : c’est le cas de l’Ortie (Urtica dioica), très appréciée par de nombreuses espèces parmi lesquelles beaucoup de Nymphalidés (Paon du jour [ci-contre], Petite tortue, Vulcain, Belle-dame, Robert-le-diable…). Mais les plantes qui sont susceptibles d’être consommées par le plus grand nombre d’espèces sont surtout les ligneux (arbres et arbustes) : Ormes (Ulmus), Érables (Acer), Chênes (Quercus)… la liste est longue !
Ce site (anglais) répertorie les plantes-hôtes des larves de Lépidoptères et d’autres insectes, n’hésitez pas à le consulter pour en savoir plus sur le sujet.

Bref, si vous souhaitez permettre aux papillons de pondre dans votre jardin, pensez à laisser un petit coin de « mauvaises herbes » en tous genres : orties et chardons pour les Nymphalidés, Apiacées pour le Machaon, molènes pour les Cucullies…

Le Buddleia, une fausse bonne idée !

Le Buddleia de David (Buddeia davidii) ou « arbre à papillons » est souvent cité comme la plante idéale pour attirer les papillons. Pourtant, c’est une plante exotique à tendance envahissante : introduite d’Asie à la fin du XIXème siècle, elle s’est naturalisée et tend à prendre la place de la végétation indigène dans les milieux pionniers, perturbés, rudéralisés (voies ferrées, friches…), et notamment dans certaines ripisylves aux alluvions grossières. Si elle fournit aux papillons des fleurs riches en nectar, ses feuilles, elles, ne sont d’aucun intérêt pour la grande majorité des chenilles (1).
Néanmoins, le Buddleia de David reste un très bel arbuste qui permet d’attirer en grand nombre les papillons afin de pouvoir les observer. Il n’y a rien de dramatique à planter un Buddleia dans son jardin, mais si vous envisagez de le faire, privilégiez un individu stérile, qui fleurira mais ne se reproduira pas et ne risquera pas de devenir envahissant.

Pour permettre aux papillons de se reproduire, il vaut mieux privilégier les arbustes indigènes. Voici une petite liste de plantes de nos régions qui pourront constituer une haie fleurie rustique, dont les fleurs attireront les papillons et les feuilles nourriront les chenilles.

  • L’Aubépine (Crataegus) pourra attirer les laineuses, le Gazé (Aporia crataegi), le Petit paon de nuit, le Flambé (Iphiclides podalirius)…
  • Le Prunellier (Prunus spinosa) pourra aussi nourrir les chenilles du Petit paon de nuit, du Flambé, le Gazé, mais aussi de la Thècle du prunier (Satyrium pruni), de la Phalène du sureau (Ourapteryx sambucaria) et de beaucoup d’autres espèces d’hétérocères.
  • Le Troène (Ligustrum vulgare) pourra abriter les chenilles du Sphinx du troène (Sphinx ligustri), de la Noctuelle du troène (Craniophora ligustri), ou encore de la Méticuleuse (Phlogophora meticulosa).
  • Le Charme (Carpinus betulus) nourrira de nombreuses chenilles de Géométridés, ainsi que d’autres espèces polyphages comme le Petit paon de nuit.
  • Les Saules (Salix) seront appréciés par de très nombreuses espèces de papillons « de jour » et « de nuit ».
  • Le Nerprun (Rhamnus cathartica) permettra aux chenilles du Citron (Gonepteryx rhamni) de se développer…

(1) Seules les chenilles du Sphinx tête de mort (Acherontia athropos) et de la Cucullie du bouillon-blanc (Shargacucullia verbasci) ont été observées consommant ses feuilles, mais ce n’est qu’une plante-hôte occasionnelle pour ces espèces.

2. Tondre ou faucher avec parcimonie 

Le jardin parfait, un désert pour la biodiversité ?

Dans les villes et les villages, il est commun de considérer qu’un jardin non tondu et non taillé est négligé, voire abandonné. La présence d’herbes hautes, de mousse dans la pelouse, de feuilles mortes sur le sol, de tas de branches dans les coins, de Ronces ou d’Orties… est généralement mal perçue et considérée comme un manque d’entretien de la part du propriétaire. Pourtant, ce genre de jardin est souvent le plus apprécié par les insectes en tous genres, car tous ces éléments sont importants voire indispensables à  leur développement.
À l’inverse, un jardin considéré comme entretenu, bordé de haies de Thuyas bien taillées et dont la pelouse est taillée au millimètre, ne sera pas intéressant pour les insectes qui n’y trouveront ni ressources alimentaires ni abri. La présence de plantes exotiques permettra peut-être aux papillons de venir butiner, mais ils ne pourront pas y pondre leurs œufs. Et la tonte systématique de la pelouse empêchera les chenilles de se développer, privées de leur plante-hôte. Voici quelques exemples concrets…

L’exemple de l’Aurore et de la Cardamine des prés

Au début du printemps, la Cardamine des prés (Cardamine pratensis) égaye nos pelouses de ses discrètes fleurs violettes. Elle fait partie des premières fleurs du printemps, s’épanouissant dès le mois de mars. C’est à la même période que l’Aurore (Anthocharis cardamines), un petit papillon blanc et orange de la famille des Piérides, émerge de sa torpeur nymphale. Après l’accouplement, la femelle se met à la recherche de plantes sur lesquelles pondre. Les chenilles de l’Aurore peuvent se nourrir de diverses Brassicacées, mais le plus souvent, c’est sur la Cardamine des prés ou sur l’Alliaire (Alliaria petiolata) que la femelle dépose ses œufs, à l’unité sur les boutons floraux. Les chenilles naissent généralement au début du mois d’avril, et commencent leur croissance en grignotant les pétales et les siliques de la plante.
Et c’est au même moment qu’ont lieu les premières tontes du printemps. Si la Cardamine a le malheur de se retrouver sur le parcours de la tondeuse, sa tige est coupée nette à sa base. Le coup ne lui est pas fatal : elle n’aura sans doute pas l’énergie pour produire de nouvelles tiges et de nouvelles fleurs, mais survivra jusqu’à l’année suivante sous forme de rosette. La chenille qui se trouvait sur la Cardamine, quant à elle, est en moins bonne posture. Si elle a survécu aux lames de la tondeuse, elle est désormais privée de ses parties favorites : les fleurs et les fruits. Il ne lui reste plus qu’à errer à la recherche d’une autre Cardamine épargnée par la tondeuse, ou se rabattre sur les quelques feuilles de la rosette, sans doute insuffisantes pour lui permettre d’accomplir la totalité de ses stades de développement.

Un coin d’herbes folles pour les insectes

Bien évidemment, il n’est pas question de transformer son jardin en friche pour protéger les insectes ! Il est tout à fait envisageable d’avoir un jardin très bien entretenu, avec une surface tondue pour les loisirs (sport, jeux) et des haies bien taillées, tout en conservant un petit coin de « refuge » pour la biodiversité. Il est possible, par exemple, de réaliser une jolie bordure de pierres pour délimiter quelques pieds d’Orties, ou de conserver au printemps une zone non tondue pour que les Cardamines des prés puissent fleurir et nourrir les chenilles de l’Aurore. Un jardin peut tout à fait être très esthétique et utile pour les insectes.

3. Bannir certaines mauvaises pratiques

Les produits phytosanitaires

Ce n’est plus un secret pour personne : les produits phytosanitaires (insecticides, herbicides, fongicides…) ont un fort impact négatif sur l’environnement, et sur la santé humaine.
Aujourd’hui, la plupart des produits anti-chenille que l’on peut se procurer dans le commerce sont estampillés « bio » : ils contiennent une bactérie aux propriétés insecticides, le Bacille de Thuringe (Bacillus thuringiensis, souvent abrégé Bt). Présent en petite quantité un peu partout dans l’environnement, il a une action létale sur les larves de Lépidoptères (les chenilles, donc) lorsque celles-ci l’ingèrent. Il présente l’avantage d’avoir un impact très faible sur les autres organismes vivants, mais n’est en revanche pas du tout sélectif vis-à-vis des différentes espèces de Lépidoptères : il tue indifféremment les chenilles de toutes espèces.

Les bandes de glu contre les insectes

On trouve parfois dans le commerce des bandes de glu destinées à être appliquées contre le tronc des arbres pour éviter le passage des fourmis, des punaises ou des chenilles. Séduisant à première vue par son action mécanique et donc son côté « bio », ce dispositif présente tout de même deux problèmes majeurs :

– Si son efficacité contre les fourmis est notoire, il est quasi inefficace contre les chenilles. Et la raison est très simple ! Les chenilles que l’on trouve dans les arbres fruitiers ne viennent pas du sol : c’est directement sur le feuillage que les femelles papillons déposent leurs œufs, et c’est donc sur l’arbre que les chenilles naissent.
Chez certaines espèces, la nymphose s’effectue au sol. Dans certains cas, la chenille se laisse simplement tomber de l’arbre et ne passe pas nécessairement par le tronc pour descendre au sol. Il arrive cependant qu’elle descende le long du tronc, et dans ce cas là, le piège peut se révéler efficace… Sauf qu’à ce moment là, la chenille a terminé son développement et ne se nourrit donc plus. Il n’est alors plus nécessaire de la capturer…

Aucune description de photo disponible.– Une fois que des insectes se sont collés à la glu, les petits passereaux insectivores peuvent être tentés d’en profiter pour se délecter de ces proies faciles, et risquent de se retrouver piégés à leur tour. Plusieurs associations de protection de la nature ont déjà alerté les jardiniers des dangers de ce type de piège, qui sont à ce jour toujours autorisés à la vente. (Photo ci-contre © La Berlière Gîte Nature)