Le Petit paon de nuit (Saturnia pavonia) fait sans doute partie des plus beaux et des plus impressionnants papillons « de nuit » de la faune française. Chez ce petit Saturnidé, le mâle est actif la journée et vole en plein après-midi à la recherche d’une femelle à féconder. Cette dernière, immobile la journée, reste dissimulée dans la végétation et ne s’active qu’à la nuit tombée.
Reconnaître le Petit paon de nuit
Les chenilles de cette espèce ont des couleurs assez variables, et changent beaucoup d’aspect au fil des différents stades larvaires. Au premier stade, elles sont entièrement noires avec plusieurs paires de petites protubérances de la même couleur alignées sur le dos, et couvertes de soies leur donnant un aspect hispide au toucher. Elles acquièrent une bande latérale rouge à partir du second stade. D’autres couleurs apparaissent à partir du troisième stade : certaines chenilles restent noires avec des taches rouges, d’autres vert-jaunâtre avec des taches noires… Mais on les reconnaît toujours à leurs verrues jaunes ou orange, desquelles partent des soies noires assez rêches. Au dernier stade, les chenilles sont vertes, avec ou sans anneaux noirs.
Confusion possible. On peut difficilement confondre les chenilles du Petit paon de nuit avec d’autres chenilles. Les jeunes chenilles au second stade, lorsqu’elles sont noires avec une bande latérale rouge, peuvent être confondues avec celles de la Lithosie complanule (Eilema lurideola), mais ces dernières se nourrissent de lichens et ne sont pas grégaires comme le sont les chenilles du Petit paon aux premiers stades.
Les œufs de cette espèce ont en revanche un aspect similaire à ceux d’autres papillons nocturnes (voir description plus bas) :
– Les œufs du Grand paon de nuit (Saturnia pyri) ont la même forme et sont susceptibles d’être pondus à la même période sur la même plante-hôte, mais sont beaucoup plus clairs : d’un blanc cassé avec quelques taches brun sale sur les côtés ;
– Ceux du Bombyx de la ronce (Macrothylacia rubi) ont aussi la même forme mais ont des taches ovoïdes sur les côtés et surtout ne sont pas pondus à la même période (plutôt vers mai-juin).
Cycle de vie
Le Petit paon de nuit est une espèce univoltine : c’est-à-dire qu’il ne produit qu’une seule génération par an. C’est au début du printemps, dès la mi-mars, que la femelle dépose ses œufs en groupe peu organisé autour d’un rameau ou une tige. De couleur brune et de forme allongée, ils sont durs et collés les uns aux autres. Au terme d’une douzaine de jours, ils donnent naissance à de petites chenilles noires et couvertes de poils rêches. Dans les premiers temps de leur développement, les chenillettes restent groupées sur le même arbuste, souvent sur les mêmes branches, et sont alors facilement repérables. Elles commencent à se disperser aux environs du 3ème stade pour poursuivre leur développement chacune de leur côté.
Une fois le dernier stade atteint, lorsque le moment de la nymphose est proche, la chenille tisse un cocon de soie dans le feuillage d’un arbuste ou contre un tronc ou autre support vertical. Ce cocon a la particularité de posséder une sorte de « sas » à sens unique, permettant à l’adulte d’émerger facilement, mais empêchant l’intrusion de prédateurs. On retrouve de tels systèmes sur les cocons d’autres papillons de cette famille, comme le Grand paon de nuit (Saturnia pyri).
C’est dans ce cocon que le Petit paon de nuit passe tout l’automne et l’hiver sous forme de chrysalide, pour émerger au printemps suivant sous la forme d’un élégant papillon. Au stade adulte, le dimorphisme sexuel (c’est-à-dire la différence physique entre le mâle et la femelle) est très important : Monsieur Petit paon est paré d’une livrée orange et rouge et d’une belle paire d’antennes pectinées, alors que Madame, plus discrète, revêt un habit gris non moins élégant, et porte de petites antennes légèrement pectinées. Les deux sexes portent sur chaque aile un ocelle, tâche ronde rappelant un œil et ayant pour effet de surprendre ou d’effrayer les prédateurs.
Mais la différence entre le mâle et la femelle n’est pas seulement physique : elle est aussi comportementale. L’activité du mâle est diurne (paradoxal pour un Petit paon de nuit !), alors que celle de la femelle est bien nocturne. Dans l’après-midi, Monsieur vole à la recherche d’une femelle, qu’il repère jusqu’à 5km de distance grâce aux phéromones qu’elle diffuse peu après l’émergence. L’accouplement a lieu dans la journée, puis la femelle attend la tombée de la nuit pour s’envoler à la recherche d’un arbuste ou d’une plante pour déposer ses œufs.
La vidéo ci-dessus, réalisée par Adam Grochowalski, montre tout le cycle du développement du Petit paon de nuit, de l’œuf au papillon. Des images précieuses et d’une qualité inégalable !
Plantes-hôtes
Les chenilles du Petit paon de nuit sont relativement polyphages, avec une préférence pour les Rosacées et les Éricacées. La femelle dépose ses œufs sur le feuillage des Prunelliers (Prunus spinosa), des Aubépines (Crataegus), des Saules (Salix), des Framboisiers et des Ronces (Rubus), des Pommiers (Malus domestica), des Sorbiers des oiseleurs (Sorbus aucuparia), des Chênes (Quercus) ou des Bouleaux (Betula), mais aussi des Bruyères (Calluna vulgaris), des Myrtilles (Vaccinium myrtillus), des Airelles des marais (Vaccinium uliginosum)…
Répartition et habitat
C’est une espèce largement répartie en Europe centrale, son aire de répartition s’étendant des Îles britanniques au Nord de l’Asie. En France, elle est présente partout, mais de récentes études suggèrent que les populations du Sud du pays relèverait en réalité de l’espèce proche Saturnia pavoniella, longtemps considérée comme une sous-espèce de Saturnia pavonia. À l’heure actuelle, les connaissances des entomologistes sur ces deux espèces ne permettent pas de définir avec exactitude les critères morphologiques permettant de différencier les deux espèces (autres que la forme des armatures génitales), et il est donc difficile de délimiter précisément leurs aires de répartition respectives.
En terme d’habitat, le Petit paon de nuit n’est pas une espèce très exigeante, mais il semble affectionner particulièrement les prairies pauvres bordées de haies de Prunelliers, d’Aubépines et de Ronces, ainsi que les marais et tourbières où poussent les Bruyères et les Myrtilles. On peut également le rencontrer dans les jardins, et dans tout autre milieu assez ouvert où se développent ses plantes hôtes.
Étymologie
Le Petit paon de nuit porte le nom scientifique Saturnia pavonia. Saturnia est le genre type de la famille des Saturnidés, créée en 1837 par l’entomologiste français Jean-Baptiste Alphonse Dechauffour de Boisduval. Son nom vient directement de Saturne, le dieu romain présidant le solstice d’hiver. Le nom spécifique pavonia quant à lui se rapporte au Paon, en latin pavo, en raison de la similitude des motifs des ailes du papillon avec ceux des plumes du Paon.
En Français, on le nomme Petit paon de nuit : petit, par opposition au grand (Saturnia pyri), et de nuit par opposition à celui du jour (Aglais io).
D’autres papillons portent sur leurs ailes des ocelles, taches rappelant les yeux menaçants d’un prédateur : on rencontre de tels motifs chez les Sphinx (comme le Sphinx demi-paon représenté plus haut), les Nymphalidés (comme le Paon du jour, également représenté, mais aussi le Myrtil ou l’Amaryllis), ou encore les Papilionidés comme les Apollons.
Moyens de défense, prédateurs et parasites
Comme toutes les chenilles, celles du Petit paon de nuit ont leur lot de prédateurs habituels : oiseaux et petits mammifères insectivores, punaises et autres arthropodes peuvent venir à bout des jeunes chenilles. Contre ces ennemis, elles sont à peu près sans défense, et peuvent tout au plus se laisser tomber de leur branche pour que l’assaillant les perde de vue.
Au dernier stade larvaire, le corps des chenilles est couvert de petites protubérances jaunes ou orangées, desquelles partent quelques courtes soies rêches. En cas de danger, la chenille peut libérer à partir de ces protubérances une substance défensive comparable à un filtrat d’hémolymphe (l’équivalent du sang chez les insectes), et contenant une demi-douzaine de composés aromatiques comme le benzaldéhyde (composé à odeur d’amande amère) et l’hydroquinone (composé que les coléoptères Bombardiers associent au peroxyde d’hydrogène pour former un liquide corrosif en ébullition). Cette substance aurait pour effet de repousser certains prédateurs comme les fourmis, les oiseaux et les petits mammifères, mais aussi certains parasitoïdes, en restant active quelque temps après une attaque.
Plusieurs espèces d’Hyménoptères et de Diptères peuvent en effet parasiter les chenilles du Petit paon de nuit. Plus d’une dizaine d’espèces de guêpes Ichneumons ont été recensées comme parasitoïdes de cette espèce ; parmi elles, la très généraliste Pimpla rufipes peut parasiter plus d’une cinquantaine d’espèces de Lépidoptères appartenant à plus d’une douzaines de familles différentes. Grâce à son long ovipositeur, elle dépose ses œufs directement dans le corps des chenilles. Ses larves s’y développent en consommant les parties non-vitales du corps de leur hôte, puis le quittent à maturité pour tisser un fin cocon de soie à proximité. D’autres espèces d’Ichneumons parasitent le Petit paon de la même façon.
Les mouches Tachinaires quant à elles procèdent un peu différemment. Les mouches du genre Exorista comme Exorista grandis déposent un œuf volumineux et dur sur la peau de la chenille : dès l’éclosion de l’œuf, la larve pénètre le corps de son hôte pour s’en nourrir. Les mouches du genre Phryxe comme Phryxe nemea et P. vulgaris possèdent un organe de ponte exsertile qui leur permet de percer la peau des chenilles pour pondre directement à l’intérieur. Une autre espèce quant à elle est plus spécialiste et parasite tout particulièrement le Petit paon de nuit, ainsi que quelques autres papillons nocturnes : Masicera pavoniae.
Diapause prolongée
Parfois, il arrive que la chrysalide prenne quelques mois de repos supplémentaires, et hiverne deux années de suite ou plus, malgré des conditions environnementales a priori favorables au premier printemps. Il s’agit d’une stratégie évolutive apparentée au bet-hedging (ou stratégie de minimisation des risques) permettant de faire face à l’imprévisibilité des conditions environnementales : en différant les émergences sur plusieurs années, les individus d’une même population augmentent les chances de survie de celle-ci. S’ils avaient tous émergé la même année, et que de mauvaises conditions environnementales étaient apparues (températures très basses, forte pluie, ou à l’inverse sécheresse…), la survie de la population (imagos ou futures chenilles) aurait pu être compromise.
Cette stratégie très hasardeuse s’observe chez d’autres espèces d’insectes, et notamment chez d’autres papillons nocturnes, comme la Laineuse du cerisier (Eriogaster lanestris), chez qui une diapause de 7 années consécutive a déjà été observée. L’émergence différée des imagos semble d’autant plus pertinente chez les Saturnidés et les Lasiocampidés, car ces papillons sont dépourvus de système digestif fonctionnel au stade adulte : incapables de se nourrir, leur vie de papillon est très courte, et leur laisse tout juste le temps de se reproduire. Ils ont donc bien plus intérêt à émerger au bon moment qu’un papillon de jour qui pourra attendre plusieurs jours avant de se reproduire.
Mais c’est surtout vis-à-vis de la survie des chenilles que cette stratégie semble intéressante, car ce sont elles qui sont les plus susceptibles de souffrir de mauvaises conditions environnementales (pic de population d’insectes parasitoïdes, sécheresse causant la mort de la plante-hôte, fortes pluies…).
Une chenille dangereuse ?
Si vous avez trouvé des chenilles de Petit paon de nuit dans votre jardin, pas de panique : elles sont parfaitement inoffensives (voir plus bas une photo des chenilles dans ma main). Durant les premiers stades, lorsqu’elles sont encore grégaires, elles peuvent former de petits groupes quelque peu impressionnants dans le feuillage de certains arbustes fruitiers comme les Framboisiers, mais il n’y a pas de raison de s’inquiéter : elles se dispersent rapidement, et les dégâts qu’elles peuvent causer sont minimes.
Galerie photos (Cliquez sur les photos pour les afficher en grand !)
Bibliographie
- D. J. Carter, B. Hargreaves, Guide des chenilles d’Europe, Delachaux et Niestlé
- J-F. Aubert, Papillons d’Europe I, Delachaux et Niestlé
- B. Henwood, P. Sterling, R. Lewington, Field Guide to the Caterpillars of Great Britain and Ireland, Bloomsbury Wildlife Guides
- H. Bellmann, Quel est ce papillon ?, Nathan
- A. Lequet, Biologie et développement du Petit paon de nuit
- Deml, R., & Dettner, K. (1990). Chemical defense of Eudia (Saturnia) pavonia caterpillars. The Science of Nature, 77(12), 588-590.
- Bestimmungshilfe für die in Europa nachgewiesenen Schmetterlingsarten (Lepiforum) : Saturnia pavonia
- Lepidoptera and their ecology : Saturnia pavonia
- Moths and Butterflies of Europe and North Africa : Saturnia pavonia
- Lépinet : Saturnia pavonia
- Artemisiae, le portail dynamique national sur les papillons de France : Saturnia pavonia
- The Ecology of Commanster, Ecological Relationships Among More Than 7700 Species : Saturnia pavonia
Dernière mise à jour de la page : août 2021