Une chenille arpenteuse, c’est quoi ?
On emploie le terme « chenille arpenteuse » pour désigner les chenilles appartenant à la famille des Géométridés : les géomètres, phalènes, hibernies et compagnie. Ce terme regroupe donc des centaines d’espèces différentes : il ne s’agit pas d’une espèce en particulier.
La principale caractéristique des chenilles de Géométridés, c’est qu’elles ne possèdent généralement que deux paires de « fausses-pattes » situées tout au bout de leur abdomen, alors que la plupart des chenilles en possèdent cinq. C’est leur moyen de se déplacer qui leur vaut le nom d’arpenteuses : après avoir saisi leur support avec leurs vraies pattes, elles avancent leurs fausses-pattes jusqu’à l’avant de leur corps, se pliant alors pour former un Ω. Ce mouvement rappellerait celui des géomètres déplaçant leur corde d’arpenteur pour mesurer des distances au sol.
Plus de 23 000 espèces de Géométridés ont été décrites dans le monde, dont environ 645 peuvent être observées en France. C’est la deuxième famille de papillons la mieux représentée dans notre pays, juste derrière les Noctuidés.
Comment les reconnaître ?Il est assez simple de reconnaître une chenille arpenteuse : elle ne possède que 2 paires de fausses-pattes (à quelques exceptions près), elle est globalement glabre (pas ou peu de « poils »), et elle est souvent fine et allongée, ce qui lui donne un aspect frêle et fragile. La taille des chenilles varie selon les espèces, et bien sûr selon le stade de développement. Généralement, elles sont de couleur verte, brune ou grise, pour mieux se confondre dans la végétation. Chez certaines espèces, le mimétisme est très impressionnant et les chenilles peuvent ressembler à des brindilles !
Il n’existe pas en France, du moins à ma connaissance, d’espèces de Géométridés dont les chenilles sont grégaires. On les observe donc généralement isolément sur le feuillage des arbres, même si certaines espèces particulièrement communes peuvent être observées en grand nombre les années où elles « pullulent » (par exemple, l’Hibernie défeuillante).
En revanche, il est un peu plus délicat d’identifier avec certitude une chenille arpenteuse. Certaines espèces communes sont très faciles à reconnaître, mais ce n’est pas le cas de toutes. Pour identifier une chenille arpenteuse, vous pouvez consulter la galerie des chenilles de Géométridés sur Lépinet (il y en a beaucoup, alors ça peut être assez long), ou bien poster une photo sur un groupe d’identification d’insectes, sans oublier de préciser la date, la localisation et la plante-hôte de la chenille.
Une morphologie avantageuse ?On pourrait se demander pourquoi, au cours de l’évolution, certaines chenilles ont « perdu » leurs fausses-pattes. Dans le tome II de Papillons d’Europe, J-F Aubert évoque l’hypothèse de ses pairs selon laquelle la réduction des fausses-pattes permettrait aux chenilles arpenteuses de se mouvoir plus rapidement dans la végétation. Il n’adhère cependant pas à cette théorie : « Cette hypothèse semble difficilement acceptable, étant donné que la plupart des Arpenteuses se déplacent avec une extrême lenteur dans la nature. Celles qui sont le plus profondément modifiées, celles qui jouissent de l’homomorphie la plus parfaite, sont les plus lentes à se mouvoir« . À l’inverse, les chenilles d’Écailles, pourvues de 10 fausses-pattes, sont capables de se déplacer très rapidement au sol. Si la démarche des arpenteuses n’est pas très rapide, elle n’en reste pas moins efficace pour se déplacer d’une branche à l’autre dans un arbre. Lorsque leurs deux uniques paires de fausses-pattes sont puissamment agrippées à un support, les chenilles arpenteuses peuvent agiter leur long corps de droite à gauche jusqu’à toucher un autre support favorable : cette morphologie leur offre ainsi une souplesse accrue sur les trois quarts supérieurs du corps.
Quelques photos de chenilles arpenteuses Survoler les images pour voir le nom des chenilles.Certaines chenilles n’appartenant pas à la famille des Géométridés possèdent également un nombre limité de fausses-pattes. Dans la famille des Noctuidés, certaines Plusies (Plusiinae) ne possèdent que 3 paires de fausses-pattes, là où les autres noctuelles en possèdent généralement 5. On peut ainsi confondre la chenille de la Fausse-arpenteuse du chou (Trichoplusia ni), avec une chenille arpenteuse : elle se déplace de la même manière, mais possède 3 paires de fausses-pattes. De même, chez les Érébidés certaines chenilles de la sous-famille des Erebinae comme le Mi (Euclidia mi) ou la Passagère (Dysgonia algira), possèdent elles aussi 3 paires de fausses-pattes leur donnant des airs d’arpenteuses.
À l’inverse, certaines chenilles de Géométridés possèdent plus de 2 paires de fausses-pattes : dans la sous-famille des Archiearinae, les bien-nommées Intruse (Archiearis parthenias) et Illégitime (Boudinotiana notha), ainsi que la Bréphine ligérienne (B. touranginii), possèdent 5 paires de fausses-pattes. Citons également, dans la sous-famille des Ennominae, la Phalène du Marronnier (Alsophila aescularia) et l’Ennomos dentelé (Odontopera bidentata) qui possèdent respectivement une et deux paires de fausses-pattes vestigiales sur les segments précédant les deux paires habituelles ; la Métrocampe verte (Hylaea fasciaria) et la Phalène du sapin (Pungeleria capreolaria) qui possèdent une toute petite paire non fonctionnelle sur le segment précédent les deux autres paires de fausses-pattes, et enfin le Céladon (Campaea margaritaria) qui possède trois paires de fausses-pattes fonctionnelles, la plus avancée étant réduite.
Tout cela semble bien compliqué, mais pas de panique, les exceptions sont rares ! Retenons simplement qu’une chenille possédant 2 paires de fausses-pattes est systématiquement une arpenteuses, mais que certaines arpenteuses ont parfois une, deux ou plus rarement trois paires de fausses-pattes supplémentaires, qui ne sont en général pas fonctionnelles.
Des chenilles arpenteuses dans mon jardin : c’est grave ?Au printemps, on peut trouver des chenilles arpenteuses dans tous les arbres. Les dégâts qu’elles peuvent causer sont généralement très limités dans les arbres déjà âgés. Un trop grand nombre de chenilles peut dans certains cas causer l’affaiblissement des arbres les plus jeunes, mais cela reste assez rare. Il n’est en général pas nécessaire d’intervenir : les mésanges et autres petits passereaux insectivores sont très friands de ces chenilles au printemps, et seront beaucoup plus efficace que nous pour les éliminer !
Pour en savoir plus sur les Géométridés et leurs chenilles arpenteuses…- Les passionnantes pages d’Alain Ramel dédiées aux Géométridés
- La liste des Géométridés de France sur le site internet d’Oreina
- Le volume II de Papillons d’Europe par Jacques-F. Aubert aux Éditions Delachaux et Niestlé. Un livre un peu daté (1949) mais riche en récits d’élevages très intéressants.