Si vous jardinez un peu, vous avez sans doute déjà croisé dans votre potager la jolie chenille verte du Machaon (Papilio machaon), sur le feuillage de vos carottes, vos fenouils ou vos panais. Au stade adulte, le Machaon est un grand papillon jaune, pouvant atteindre 90 mm d’envergure. Au printemps et en été, il vient volontiers butiner dans les jardins : il apprécie les milieux bien exposés, comme les pelouses sèches ou les bords de chemins.
Reconnaître le Machaon
Cycle de vie
Dans nos contrées, le Machaon produit deux à trois générations par an. La femelle parcourt les milieux ouverts à la recherche de plantes appropriées, et y dépose ses œufs ronds isolément sur les feuilles. La chenille tout juste née consomme le chorion (l’enveloppe) de son œuf dans son intégralité avant de commencer à consommer sa plante-hôte. Sa croissance s’effectue en 3 à 6 semaines, au cours desquelles la chenille passe par 5 stades de développement. Après chaque mue, elle consomme intégralement son exuvie (l’ancienne peau qu’elle laisse derrière elle). Une fois leur développement terminé, elles quittent la plante pour trouver un support stable sur lequel elles pourront s’accrocher solidement. À l’instar des autres chenilles de Papilionidés, et des chenilles de Piéridés, la chenille du Machaon se tisse une petite ceinture de soie qui la maintient attachée à un support vertical (tige, branche…).
Cette vidéo d’Adam Grochowalski montre le développement du Machaon de l’œuf jusqu’au papillon. Vers 6 minutes, vous pouvez voir la chenille préparer sa nymphose en tissant son petit « baudrier de sécurité » :
L’émergence du papillon a lieu deux à trois semaines après la nymphose en été. Les chrysalides issues des chenilles de la fin de l’été et de l’automne hivernent. Elles peuvent supporter des températures très basses, allant jusqu’à -30 degrés.
Plantes-hôtes
La chenille du Machaon se nourrit essentiellement de plantes appartenant à la famille des Apiacées (= ombellifères). Dans les jardins, on la rencontre surtout sur les Apiacées cultivées : Carotte (Daucus carotta), Fenouil (Foeniculum vulgare), Aneth (Anethum graveolens), Panais (Pastinaca sativa) ou encore Persil (Petroselinum crispum) ; mais elle apprécie également d’autres plantes sauvages : Angéliques (Angelica), Peucédan des marais (Thysselinum palustre), Lasers (Laserpitium), Boucages (Pimpinella) et bien sûr Carotte sauvage. Au total, plus de 40 espèces d’Apiacées ont été recensées comme plantes-hôtes possible du Machaon. On peut occasionnellement l’observer sur des plantes d’autres familles botaniques, comme la Rue fétide (Ruta graveolens) ou la Fraxinelle (Dictamnus albus), deux Rutacées.
Répartition et habitat
C’est une espèce largement répandue en Europe, mais que l’on peut également rencontrer dans une partie de l’Asie, de l’Afrique du Nord et de l’Amérique du Nord. En France, il est présent partout y compris en Corse où il cohabite avec son cousin le Porte-queue corse (Papilio hospiton), dont le papillon est assez semblable mais la chenille beaucoup plus sombre.
Étymologie
Le Machaon porte le nom scientifique Papilio machaon. Le nom de genre Papilio a été créé par Linné en 1758 : à l’époque, il y avait regroupé la totalité des papillons diurnes. Il signifie tout simplement « papillon » en latin.
Quant au nom spécifique machaon, il vient directement de la mythologie grecque où Machaon est un chirurgien héros de la guerre de Troie, fils d’Asclépios (en latin Esculape), dieu de la Médecine, et d’Épione, déesse qui soulage les maux.
D’autres papillons de la même famille portent des noms issus de la mythologie grecque. D’ailleurs, le frère de Machaon n’est autre que Podalire, qui a prêté son nom au Flambé (Iphiclides podalirius) !
Moyens de défense, prédateurs et parasites
Ce n’est qu’à partir du quatrième stade que la chenille du Machaon revêt son costume vert et noir. Avant cela, elle est parée de noir et de blanc et ressemble très franchement à une fiente d’oiseau, ce qui la rend très peu appétente pour les prédateurs et notamment les oiseaux.
Lorsqu’elle est inquiétée, elle dévagine un petit organe situé à l’arrière de sa capsule céphalique, appelé osmaterium (parfois orthographié osmeterium). Cette petite structure orange semblable à une langue de serpent est enduite d’une substance contenant des acides butyriques : leur forte odeur repousse certains prédateurs potentiels, comme les fourmis et les araignées. L’osmaterium est également présent chez les chenilles d’autres espèces de papillons appartenant à la famille des Papilionidés, comme le Flambé.
L’action combinée de son osmatérium et de ses couleurs vives, le vert, le noir et l’orange, renvoie aux prédateurs l’information que cette chenille n’est pas bonne à manger ; on parle d’aposématisme. Les Mésanges charbonnières (Parus major) se désintéressent de ces chenilles après les avoir prises dans leur bec une première fois, ayant constaté leur goût désagréable (Järvi et al. 1981). Robustes, les chenilles semblent survivre sans encombre à cette « prise de bec ».
Notre chenille a pourtant des ennemis face auxquels les couleurs vives et l’osmatérium se révèlent inefficaces : les insectes parasitoïdes. Certains d’entre eux se sont même spécialisés dans le parasitisme de cette seule espèce !
Il y a d’abord les Tachinaires, des Diptères (mouches) qui pondent leurs œufs sur ou dans le corps de la chenille. Certaines comme Compsilata concinnata sont assez généralistes et peuvent aussi bien parasiter de nombreuses autres espèces de chenilles. La mouche Buquetia musca en revanche ne semble parasiter que les chenilles du Machaon (une unique mention de parasitisme sur une autre espèce proche, Papilio alexanor). Pour cela, elle dépose sur le corps de la chenille un ou plusieurs œufs prêts à éclore, voire même des larves déjà écloses. Pour se soustraire au triste sort qui l’attend, la chenille a deux possibilités : se laisser tomber de son support afin que la mouche perde sa piste, ou bien, si elle a été touchée, muer rapidement pour se débarrasser du tégument sur lequel les œufs ont été pondus, s’ils n’ont pas encore éclos.
Dans cette vidéo de Filming Varwild, vous pouvez voir une femelle de Buquetia musca en train d’approcher une chenille de Machaon, puis de pondre sur elle. Les auteurs de cette vidéo ont également réalisé une publication très intéressante sur la biologie de cette espèce, dont vous trouverez le lien dans la bibliographie plus bas !
Une fois parasitée par les larves de la mouche Buquetia musca, la chenille du Machaon continue à se développer normalement pendant plus d’une semaine, puis des taches noires apparaissent sur son corps. Environ 10 jours après l’infestation, la chenille mal en point se laisse pendre à son support, et une ou plusieurs larves quittent son corps en perçant son tégument. Elles se laissent pendre à un long fil de mucus jusqu’à arriver au sol, où elles se nymphosent en pupes. Bien évidemment, la chenille ne survit pas à une telle attaque.
Outre les Diptères, certains Hyménoptères parasitent également les chenilles du Machaon. Les Ichneumons Pimpla rufipes et Rogas luteus sont assez généralistes et peuvent parasiter les chenilles de diverses espèces de Lépidoptères, dont celles du Machaon. La grande guêpe Trogus lapidator quant à elle ne parasite que les chenilles du Machaon, en déposant un seul œuf à l’intérieur de leur corps. Ce n’est qu’une fois que la chenille se sera transformée en chrysalide que l’adulte sortira de son corps. Ci-dessous une autre vidéo très explicite de Filming Varwild montre une de ces guêpes en train de pondre dans une chenille, puis une autre émergeant d’une chrysalide :
Galerie photos (Cliquez sur les photos pour les afficher en grand !)
Bibliographie
- D. J. Carter, B. Hargreaves, Guide des chenilles d’Europe, Delachaux et Niestlé
- J-F. Aubert, Papillons d’Europe I, Delachaux et Niestlé
- B. Henwood, P. Sterling, R. Lewington, Field Guide to the Caterpillars of Great Britain and Ireland, Bloomsbury Wildlife Guides
- H. Bellmann, Quel est ce papillon ?, Nathan
- T. Lafranchis, D. Jutzeler, J-Y. Guillosson, P. & B. Kan, La vie des Papillons, Écologie, Biologie et Comportement des Rhopalocères de France, Diathéo, 2015
- Järvi, T., Sillén-Tullberg, B., Wiklund, C., Jarvi, T., & Sillen-Tullberg, B. (1981). The Cost of Being Aposematic. An Experimental Study of Predation on Larvae of Papilio Machaon by the Great Tit Parus Major. Oikos, 36(3), 267
- Kan, P., & Kan, B. (2015). Biological observations on Buquetia musca (Robineau-Desvoidy)(Diptera: Tachinidae), a parasitoid of Papilio machaon Linné (Lepidoptera: Papilionidae). Filming VarWild, 1-12. (en ligne ici)
- A. Lequet, Biologie et développement du Machaon,
- Bestimmungshilfe für die in Europa nachgewiesenen Schmetterlingsarten (Lepiforum) : Papilio machaon
- Lepidoptera and their ecology : Papilio machaon
- Moths and Butterflies of Europe and North Africa : Papilio machaon
- Lépinet : Papilio machaon
- Artemisiae, le portail dynamique national sur les papillons de France : Papilio machaon
- The Ecology of Commanster, Ecological Relationships Among More Than 7700 Species : Papilio machaon
Dernière mise à jour de la page : août 2021