À la recherche du Sphinx chauve-souris et de l’Écaille du séneçon

Il y a quelques jours, je recherchais une photo parmi mes clichés de l’année dernière, et je suis tombée sur les photos d’une chenille que je n’avais pas réussi à identifier à l’époque. C’était le 4 juillet 2020 : nous avions invité une amie à la maison pour quelques jours, et pendant que j’étais au travail, mon compagnon l’avait emmenée faire un peu de botanique au bord d’une ancienne carrière. Le soir, elle avait ramené plusieurs plantes pour les mettre sous presse. De son bouquet de plantes était tombée une petite chenille, qu’elle m’avait donnée, et j’avais tenté de la nourrir avec diverses plantes, en vain. À ce moment là, j’avais vaguement cherché à l’identifier, sans parvenir à trouver une correspondance avec une espèce précise. La chenille refusant de se nourrir, je crois que j’avais fini par la relâcher…

Il y a quelques jours donc, je suis retombée sur cette photo. Et là, un détail m’a immédiatement frappée : la dernière paire de fausses-pattes de ma chenille, elle est énorme ! Et ça, c’est une caractéristique que l’on retrouve chez certaines chenilles de Bombycoïdes, notamment les Sphingidés et les Saturniidés… Bon, ma chenille ne peut pas être une chenille de Saturniidé : il n’y a que très peu d’espèces en France, et je les connais toutes. En revanche, les Sphinx, j’avoue que je ne m’y suis jamais intéressée en détails…
L’année dernière, je n’aurais jamais pensé à chercher chez les Sphingidés, parce que cette chenille ne possède pas de scolus. Mais après tout, la chenille du Sphinx de l’épilobe (Proserpinus proserpina) non plus n’en possède pas, alors…

J’ai consulté la galerie des Sphingidés de Lépinet, à la recherche des chenilles de sphinx qui n’ont pas de scolus. Il y en avait deux : le Sphinx de l’épilobe cité plus haut, et le Sphinx chauve-souris (Hyles vespertilio). J’ai rapidement éliminé le premier, les motifs ne correspondant pas, puis j’ai fait quelques recherches sur le second, sur le site de Jean Haxaire (ici). Les photos de chenilles en L4 correspondaient tout à fait. J’ai vérifié que mon département était bien compris dans l’aire de répartition de l’espèce, assez localisée en France : oui, c’était le cas. J’ai vérifié également que le biotope correspondait bien ; Artemisiae indique que le papillon s’observe en région accidentée, carrières, de moyenne ou haute montagne jusqu’à 2000 m (lien ici), et c’était tout à fait ça. J’étais partagée entre joie et tristesse : c’était une nouvelle espèce pour moi, mais… si j’avais été capable de l’identifier l’année précédente, j’aurais au moins pu la relâcher sur la bonne plante ! Ma pauvre chenille est sans aucun doute morte de faim, les épilobes ne poussant pas à côté de chez moi…

J’ai donc décidé de partir à la recherche de cette chenille, pour la trouver par moi-même et la photographier dans son milieu naturel. Ma photo datant du 4 juillet 2020, il s’était écoulé un an presque jour pour jour depuis sa découverte et son kidnapping accidentel. Pour la trouver, j’ai décidé d’aller explorer le site archéologique de Larina, à Hières-sur-Amby.


Lundi 5 juillet 2021. Il est environ 7h00 quand je quitte la maison en direction du site archéologique. J’ai plusieurs objectifs aujourd’hui : tout d’abord, trouver les chenilles d’Hyles vespertilio. Pas question de les récolter pour les élever cependant, l’endroit où je me rends étant un ENS (Espace Naturel Sensible) – par ailleurs, n’ayant pas d’épilobes à côté de la maison, je serais bien embêtée de devoir faire chaque jour des kilomètres pour les nourrir. Second objectif : trouver des chenilles d’Écaille du séneçon (Tyria jacobaeae). Eh oui, cette espèce super commune, je n’ai encore jamais réussi à l’observer ! Ce n’est pourtant pas faute, les années précédentes, d’avoir ausculté des centaines de pieds de Séneçons de Jacob… Troisième objectif, plus anecdotique : trouver quelques chenilles de Sphinx de l’euphorbe (Hyles euphorbiae) pour les photographier sur leur plante-hôte. J’ai déjà quelques photos de cette espèce, mais je voudrais en trouver d’autres à différents stades de développement ou avec des coloris un peu différents.
Je me fixe comme objectif de trouver au moins 2 de ces 3 espèces avant de rentrer à la maison.

Tout en conduisant vers le site, mon regard cherche au bord de la route et dans les prairies des pieds de Séneçon. De loin, on peut facilement les confondre avec les pieds de Millepertuis perfolié (Hypericum perforatum), qui font à peu près la même taille et dont les fleurs ont une teinte similaire. Un peu avant le site, je repère au bord d’un étang une dizaine de plants : il faudra que je m’y arrête au retour.

Il est 7h30 quand j’arrive sur le site. Je trouve rapidement quelques Séneçons dispersés au bord du chemin. Je les inspecte de haut en bas : pas la moindre trace de chenilles. Une petite zone au pied d’un front de taille abrite de nombreux pieds d’Épilobe à feuilles de romarin (Epilobium dodonaei), la principale plante-hôte de mon Sphinx. Tout autour, sur le feuillage des Knauties, des Demi-deuils (Melanargia galathea) et des Gazés (Aporia crataegi) somnolent encore. Un Moro-sphinx (Macroglossum stellatarum) n’a pas attendu les rayons du soleil pour s’activer, et butine frénétiquement. Je regarde rapidement le feuillage de quelques épilobes, puis pars à la recherche de séneçons, en me disant que je verrai sans doute d’autres épilobes plus loin.

J’examine un séneçon, puis deux, puis dix. Puis cinquante, peut-être. Le verdict est toujours le même : j’y trouve des papillons, des araignées et de petits coléoptères sympathiques, mais point de chenilles. J’assiste finalement à une scène intéressante : l’émergence d’une Zygène.

4

Une heure passe, l’église sonne 8h30. Au même instant, je repère un petit groupe de séneçons en amont d’une petite colline : ça y est, je le sens, elles sont là ! Je m’approche, et…

5

Déception, il n’y a rien. Tout en marchant de séneçon en séneçon, je vérifie au sol qu’il n’y a pas de chenilles dans les euphorbes. Quelques jours plus tôt, j’ai trouvé non loin d’ici une dizaine de chenilles de Sphinx de l’euphorbe. Mais aujourd’hui, je ne trouve rien.

9h. Je parcours quelques prairies, toujours à la recherche de séneçons. Ce ne sont pas les fleurs jaunes qui manquent : il y a tout plein de millepertuis, mais aussi des Orpins des rochers (Sedum rupestre), des Molènes (Verbascum), et diverses « Astéracées liguliflores » dont la détermination est bien trop complexe pour moi. Même les euphorbes se parent de jaune. Je commence à désespérer.

15

9h15. Je n’ai toujours pas vu l’ombre d’une chenille.

9h30. L’Écaille du séneçon n’existe pas, c’est un complot mondial pour me faire tourner en rond.

10h. Après avoir examiné quelques 200 séneçons, je décide de prendre une petite pause et de m’enfoncer un peu dans un chemin plus forestier. Je passe près du front de taille d’une ancienne carrière : je m’assois un instant près d’une épilobe, j’examine son feuillage, mais ne trouve rien d’intéressant.

10h30. J’arrive à un petit bassin d’eau dans la pierre où des larves de salamandre grandissent. Quelque chose remue dans l’eau. Quelle surprise, c’est une chenille de Bombyx du chêne (Lasiocampa quercus), une autre de mes bêtes maudites !

6

Je sors la pauvre chenille de l’eau, elle est encore bien vive (bien sûr, je sors aussi de l’eau la petite sauterelle qui se noie à ses côtés). Un mètre plus loin, une autre chenille gît dans l’eau, immobile : un Sphinx du tilleul (Mimas tiliae) en bien moins bon état.

7

Son corps est couvert de taches noires (blessures causées par des parasitoïdes ?), et ses fausses-pattes sont couvertes d’œufs de Tachinaires.

8

Son corps est dur, elle ne réagit pas. Je décide de la prendre avec moi ; de toutes façons, elle est fichue.
Je me demande bien comment elle a pu arriver là ! Elle n’était visiblement pas en pré-nymphose, donc n’avait aucune raison de quitter son arbre… Impossible qu’elle soit tombée de son arbre directement dans l’eau, puisqu’il n’y a aucun arbre directement au dessus de l’eau, qui se trouve sous un gros rocher. Mystère.

14

11h. Je suis retournée vers l’entrée du site, là où il y avait des épilobes. Puisque ma recherche dans les séneçons s’avère infructueuse, je vais plutôt chercher des chenilles de Sphinx. Je m’assois juste à côté d’une touffe d’épilobes poussant dans une petite pente de cailloux. Au même moment, une toute petite chenille verte tombe sur mon pantalon. « Encore une noctuelle verte impossible à identifier », me dis-je… Je la prends tout de même en photo. Puis je zoome sur la photo, et constate que sa dernière paire de fausses-pattes est bien développée. Et que son corps est finement ponctué de petites granulosités… C’est une chenille de Sphinx !

Bon d’accord c’est quasiment trois fois la même photo, je n’arrivais pas à me décider. Mais elle le mérite bien, cette petite chenille, non ?

Maintenant, reste à savoir si c’est un Sphinx chauve-souris, ou un Sphinx de l’épilobe… Si je compare les photos présentes sur le site de Jean Haxaire, ainsi que celles de Lepiforum, c’est la seconde espèce qui correspond le mieux. Il faudra que je fasse confirmer cette identification, mais je suis à peu près sûre de moi.

Après avoir pris quelques photos de la chenille, remise en sécurité sur sa plante-hôte, je passe une bonne demi-heure à examiner d’autres épilobes. Je ne trouve rien, à part de jeunes sauterelles de couleur verte. Il est difficile de repérer, sur cette plante aux feuilles étroites, des traces de présence (feuilles grignotées notamment).
Je finis par trouver une petite chenille brune dans une épilobe. Je pense avoir reconnu la chenille du Mi (Euclidia mi). Une nouveauté pour moi ! Elle est véritablement minuscule cela dit, ces photos sont prises au maximum des capacités de mon 90mm.

Un peu avant midi, il faut que je quitte le site : je travaille l’après-midi… Sur le retour, je m’arrête près de l’étang où j’avais vu plusieurs pieds de séneçons. Bien évidemment, je ne trouve aucune chenille.

Bilan de la journée : pas terrible. Je n’ai vu aucune des 3 espèces que je souhaitais voir aujourd’hui. Mais j’ai sauvé un Bombyx du chêne de la noyade, et j’ai observé 2 nouvelles espèces. C’est pas trop mal.

Je n’ai pas dit mon dernier mot. Sphinx chauve-souris, Écaille du séneçon, je vous trouverai ! Affaire à suivre…


Mercredi 7 juillet 2021. Je n’ai pas pu sortir hier, il a plu toute la journée. Aujourd’hui, ils annoncent encore de la pluie autour de chez moi. J’ai deux possibilités : rester à la maison en attendant que ça se calme, puis éventuellement sortir à la recherche de mes chenilles… ou bien, suivre mon compagnon en Haute-Savoie, où il doit effectuer des relevés sur des sites naturels dans le cadre de son travail de botaniste. « Tu crois qu’il pourra y avoir des séneçons, là-bas ? » – « Très certainement », me répond-il. Dans ce cas, c’est parti !

J’aime bien suivre Martin au travail. En général, je ne fais pas grand chose : je le regarde travailler, et je cherche des chenilles. Parfois, quand je peux, je l’aide un peu. Aujourd’hui il doit se rendre sur plusieurs sites différents, alors ça me laissera plus de chance de trouver mon écaille tant convoitée. 

En approchant du premier site, nous traversons des routes bordées de séneçons. Super, il y en aura forcément sur le premier site ! Une fois arrivés sur place, je me dirige tout de suite vers les grandes touffes de fleurs jaunes que j’aperçois au loin. Mon enthousiasme décroît à mesure que je m’approche : ce ne sont pas des séneçons, mais des millepertuis. De loin, le doute était permis… J’arpente un peu le site le temps que monsieur fasse son travail : il n’y a pas de séneçons, mais je trouverai peut-être autre chose d’intéressant ? Finalement je ne trouve rien, et c’est déjà l’heure de partir vers un autre site. 

Sur le chemin vers le second site, plein de jolis séneçons me narguent dans des pâtures. Bien évidemment nous sommes en voiture, et comme Martin est sur son temps de travail, ce n’est pas possible de nous arrêter… Mais j’ai bon espoir de trouver des séneçons sur le second site ! 
Nous arrivons sur place. Pas l’ombre d’une ligule de séneçon. La matinée débute à peine et je commence déjà à perdre espoir. Rien d’intéressant pour moi sur ce second site. Direction le troisième site. 

Il s’annonce déjà plus intéressant : une lisière forestière au bord d’une pâture, avec quelques papillons, ça me plaît bien. Bon, il n’y a pas de séneçons, mais quelques jeunes peupliers m’inspirent bien : je verrais bien des chenilles de Cerura là-dedans. Pour l’anecdote, ça fait 2 années de suite que j’élève des chenilles de Grande queue fourchue (Cerura vinula) et à chaque fois je rate le moment de la pré-nymphose : soit ça tombe quand je ne suis pas là, soit le matin au moment de partir au travail, soit (le plus frustrant) quand je suis là mais que mon objectif d’appareil photo est parti en réparation. Bilan : je n’ai aucune photo de Cerura vinula en pré-nymphose alors qu’il m’en faudrait pour faire une fiche sur cette espèce. Chez moi, c’est un peu trop tard pour en trouver, elles ont déjà toutes terminé leur développement. Mais ici, comme on est un peu plus au nord, et légèrement en altitude, pourquoi pas…

J’examine un petit Peuplier noir. Et là, surprise !

Une petite chenille de Cerura vinula sur le point de muer. Je m’attendais à trouver une grosse chenille proche de la nymphose, pas un petit machin comme ça ! Mais ce n’est pas grave, je la récupère quand même.
Un peu plus loin je trouve aussi une petite chenille verte que j’identifie comme une Bordure entrecoupée (Lomaspilis marginata). Puis, dans un saule, une chenille que je n’avais encore jamais trouvée : la bien nommée Recluse (Clostera pigra). Cette curieuse chenille se cachait entre 2 feuilles qu’elle avait reliées entre elles par quelques fils de soie. Elle appartient à la famille des Notodontidés, comme la Grande queue fourchue. 

Je continue à explorer les jeunes Peupliers pendant que Martin travaille. Je trouve un jeune Tremble un peu plus grand que moi : j’attrape une branche un peu haute pour l’abaisser à mon niveau, et… crac ! Le tronc du Tremble casse. Mince alors, je n’ai pourtant pas été si violente… Je regarde le tronc et comprends rapidement la raison de sa fragilité : une larve a creusé une galerie au milieu de l’arbre. J’espère très fort qu’il s’agit d’une Zeuzère ou d’un jeune Cossus, pour en prendre de belles photos ! Mais non, c’est cette larve toute blanche qui sort. S’agit-il vraiment d’une chenille ? On dirait bien qu’elle a des fausses-pattes… Peut-être une chenille de Sésie ? 

Nous quittons ce très chouette site et nous dirigeons vers un autre un peu moins intéressant. Quelques séneçons très dispersés, bien sûr sans chenilles. Les deux sites suivant sont sensiblement identiques, et la journée s’achève sur cette déception. Nous rentrons.


Vendredi 9 juillet. J’ai ma matinée de libre avant de partir au travail. Je prévois de la consacrer à la recherche de l’Écaille du séneçon, puis de retourner à Larina le lendemain pour chercher le Sphinx chauve-souris. Aujourd’hui donc, direction l’Espace Naturel Sensible de la Save, près de Morestel (38) !

Je longe les sentiers bordés de quelques séneçons, mais je constate qu’ils commencent tous à faner… Et surtout, qu’ils ne portent pas la moindre chenille. Arriverais-je trop tard ? Au pied d’un séneçon, je trouve quelques jeunes chenilles de Mélitée du plantain
Après une petite heure de marche tranquille, je traverse une pâture sous le regarde indifférent de quelques vaches. Au sol, les euphorbes qu’elles dédaignent croissent à foison (on dirait un petit champ d’euphorbes !), et je m’attends à y trouver quelques Sphinx de l’euphorbe… Mais non, rien. Dans l’abreuvoir des vaches, je fais cette triste découverte.

Une chenille de Sphinx est tombée à l’eau depuis plusieurs jours déjà. Pour celle-ci il n’y a plus rien à faire, elle est couverte de moisissures de toutes sortes. Je la sors de l’eau pour l’observer, mais je ne parviens pas à l’identifier – à ce stade, je me demande même si le plus expérimenté des sphingologues en serait capable ! Son arbre-hôte était le Peuplier noir juste au dessus de l’abreuvoir. Se serait-elle laissée tomber de l’arbre à l’approche de la nymphose, pour atterrir au mauvais endroit ? Je reprends ma route un peu déprimée par cette rencontre.

Le sentier s’achève, je suis presque de retour à ma voiture, et je n’ai pas trouvé ma chenille. Sur le bord du chemin, je trouve quelques chenilles de Mélitées sur des centaurées. Je ne sais pas de quelle espèce il s’agit. 

Je rentre à la maison un peu dépitée. 


Samedi 10 juillet. Aujourd’hui, je retourne à Larina avec Martin cette fois-ci. On commence par retourner à l’endroit où j’avais trouvé la petite chenille de Sphinx de l’épilobe. Après un petit quart d’heure de recherche, nous en trouvons d’autres. 

Au total nous en voyons 5, à différents stades de développement, mais elles sont encore toutes vertes. Nous cherchons longuement dans les épilobes mais ne trouvons pas de chenilles d’autres espèces. Je propose d’aller explorer une ancienne carrière un peu plus loin, où il pourrait y avoir des épilobes. Le site n’étant pas tout à fait à côté, nous reprenons la voiture. 

Au milieu de la route, je remarque une créature éruciforme et velue. Je m’arrête en plein milieu (c’est une route peu fréquentée) pour aller voir de quoi il s’agit… 

C’est une énorme chenille de Bombyx disparate (Lymantria dispar), proche de la nymphose ! On l’embarque. 

Il faut encore marcher vingt bonnes minutes pour arriver à l’ancienne carrière. Martin s’arrête pour vérifier l’identité d’un Ail, puis d’un petit Gaillet très « délicat » sur lequel il trouve un œuf qui ressemble bien à un œuf de papillon. On décide de le laisser sur place. 
C’est un joli site et de nombreux papillons volent en cette matinée ensoleillée.

Finalement, il n’y a que deux ou trois touffes d’épilobe dans cette ancienne carrière. Et pas de chenilles dessus. Nous devons déjà repartir, comme je travaille l’après-midi… 
Bilan de la journée : toujours pas de Sphinx chauve-souris, mais quelques jolies chenilles de Sphinx de l’épilobe, et un énorme Bombyx disparate. C’est pas si mal ?

Pas de sortie le dimanche, je travaille toute la journée.


Lundi 12 juillet. Je tente de trouver des séneçons autour de la maison. Je pars à pieds en direction de la Vallée bleue. Je repère une belle station de séneçons bien vigoureux, juste à côté de… la station d’épuration. Décidément, on dirait que c’est fait exprès. 
Bien évidemment, je ne trouve rien. 


Mardi 13 juillet. Chez les beaux-parents à Cours-la-Ville. Balade matinale avec Martin sur les hauteurs du village, toujours à la recherche de l’Écaille du séneçon. Il me fait découvrir un séneçon que je ne connaissais pas : le Séneçon de Fuchs (Senecio ovatus). Apparemment, il n’est pas mentionné comme une plante-hôte possible de l’Écaille du séneçon. Bon, on trouve quand même pas mal de pieds de Séneçon de Jacob (Jacobaea vulgaris), mais… dois-je préciser qu’ils ne portent aucune chenille ? 

Dans le très beau jardin de sa mère, sur une Linaire, nous trouvons sans surprise la chenille de la Linariette (Calophasia lunula).

Ce sera tout pour aujourd’hui. La pluie commence à tomber, et elle ne cessera pas de tout le séjour. 


Dimanche 18 juillet. De repos aujourd’hui, nous passons la journée chez un ami dans le plus haut village de l’Ain : Giron. Et devinez ce qui pousse dans son jardin : un énorme bouquet de Séneçon de Jacob ! Je m’y dirige en courant à travers les hautes herbes. 

Bon, vous devez vous en douter, il n’y a aucune chenille dans ce séneçon. Je fais quand même un petit tour du jardin pour voir : dans les graminées, je trouve une chenille de Mi (Euclidia mi), et dans un Camérisier à balais (Lonicera xylosteum), une très jolie Géomètre que je n’avais encore jamais vue, l’Ennomos illunaire (Selenia dentaria). 

De toutes façons, nous n’étions pas venus pour trouver des chenilles. On a quand même passé un beau week-end !


Mardi 20 juillet. Pour l’Écaille du séneçon, j’abandonne. J’aurai peut-être plus de chance pendant les vacances, quand on bougera un peu à travers la France. Je dois me faire une raison, elle ne doit pas être très commune autour de chez moi. Aujourd’hui, je retourne à Larina voir les chenilles de Sphinx. 

En arrivant, je me dirige tout de suite vers les Épilobes à feuille de romarin (Epilobium dodonaei). Avec un peu de recul, je me rends compte que c’est la plus grosse station des environs, du moins d’après ce que j’ai pu voir. Les quelques pieds qu’on peut trouver aux alentours sont disséminés. S’il y a des Sphinx chauve-souris sur ce site, c’est bien là qu’il faut chercher, je suppose…

Le premier quart d’heure est infructueux. Et comme j’arrive en début d’après-midi, il fait super chaud. C’est assez pénible de chercher des chenilles en plein soleil dans ces conditions, mais je suis motivée. Et je finis par trouver !

C’est la première fois que je rencontre une chenille de Sphinx de l’épilobe dans sa livrée caractéristique : brune, avec des motifs rappelant la peau d’un serpent, et un énigmatique ocelle semblable à l’œil d’un cyclope. Elle est encore plus belle que ce que j’imaginais. Mais surtout ! Ce que je n’avais jamais remarqué, sur les photos, ce sont les motifs bleu et orange qu’elle porte sur les flancs, autour des spiracles. Ils sont magnifiques ! Je reste un moment assise à l’observer et à la photographier, puis je lui rends sa tranquillité : elle n’a pas encore tout à fait terminé son développement, et doit encore se nourrir. 

Je ne trouve pas d’autres chenilles de Sphinx ce jour-là, mais comme ça commence à être la période pour voir les chenilles du Flambé (Iphiclides podalirius), et que je n’en ai jamais vu… eh bien, je les cherche. Le sentier est bordé de petits Cerisiers de Sainte-Lucie (Prunus mahaleb), et il y a un Flambé qui butine juste en face. Je tombe rapidement sur un œuf, puis sur un deuxième. 

L’œuf blanc a été pondu récemment ; l’œuf noir est proche de l’éclosion. Il faudra revenir d’ici quelques jours pour espérer voir les chenilles ! 
Je me balade un peu sur le site, sans objectif particulier, m’arrêtant de temps en temps sur des plantes qui pourraient porter des chenilles. Je traverse une grande pâture remplie de plantains, et sans surprise, j’y trouve un grand nombre de chenilles de Mélitée du plantain (Melitaea cinxia), ainsi qu’une Mélitée orangée (M. didyma). Ces deux mélitées font deux générations annuelles dans ma région : on peut donc observer leurs chenilles au début du printemps, puis au milieu de l’été. 
Pour finir, dans un tout petit arbuste, je trouve ce minuscule nid de Gazés (Aporia crataegi) au raz du sol.

Tout juste nées, ces petites chenilles vont devoir survivre à l’automne puis à l’hiver pour terminer leur croissance au printemps suivant. C’est une longue aventure qui les attend, si elles parviennent à survivre aux oiseaux, aux punaises, aux araignées et aux parasitoïdes divers et variés. 


Mardi 23 novembre. Il y a bien longtemps que je n’ai pas mis à jour cet article : et pour cause, il n’y avait pas grand chose à raconter ! Malgré mes recherches, je n’ai pu trouver ni Sphinx chauve-souris, ni Écaille du séneçon cette année. Pour la première espèce, je poursuivrai sans doute mes recherches l’année prochaine ; pour la seconde, ce sera plus simple : mon ami Thomas Klein m’a gentiment donné des chrysalides cet été. Avec un peu de chance, je parviendra à avoir des œufs au printemps, afin d’observer les chenilles à tous les stades.

J’évoquais, au début de l’article, que j’avais trouvé pour la première fois une chenille de Sphinx chauve-souris grâce à une amie. Je l’avais contactée cet été pour lui demander où exactement elle avait trouvé les épilobes sur lesquelles la chenille se trouvait, mais elle était occupée et avait mis beaucoup de temps à me répondre. J’ai été très surprise quand elle m’a répondu : ce n’était pas aux alentours d’Hières qu’elle avait prélevé par mégarde la chenille, mais… dans le village où j’habite ! Ce sphinx était finalement bien plus proche de moi que ce que j’imaginais. Je me suis rendue sur place en fin d’été, mais il était sans doute un peu trop tard pour l’observer, et surtout, l’essentiel de la station d’épilobes se trouvait au cœur d’une carrière en exploitation. Mais au moins je saurai où chercher l’année prochaine.

J’achève cet article par une dernière anecdote. Le mois dernier, cette amie est venue passer quelques jours à la maison. Alors qu’elle parcourait les photos de son appareil pour me montrer quelques chenilles qu’elle a croisé cette année, elle s’est arrêtée sur celle d’une chenille jaune rayée de noir. « Tiens, c’est pas la chenille que tu cherchais cette année, ça ? ». 
Ironie de la situation : c’est grâce à elle que je me suis mise à la recherche du Sphinx, et que cet article a vu le jour. Finalement, je n’ai trouvé aucune des deux espèces recherchées, alors qu’elle, qui ne s’intéresse pas particulièrement aux chenilles, les a trouvées toutes les deux par hasard.

5 commentaires sur « À la recherche du Sphinx chauve-souris et de l’Écaille du séneçon »

  1. Quelle détermination !!! Et quel bel écrit tu as. C’est à la fois agréable, drôle et passionnant de te lire. Bon courage pour cette affaire à suivre !
    Bien le bonjour par chez toi.
    Tony

    J’aime

    1. Salut Tony ! Merci pour ton commentaire 🙂 Comment vas-tu, que deviens-tu ? Si tu passes dans le coin à l’occasion, n’hésite pas à passer nous voir !

      J’aime

  2. Bonjour,
    Grand merci pour votre site, bien fait et fort utile. Grâce à vous j’ai pu identifier ces jolies petites chenilles aperçues par hasard dans mon jardin (du style « punk ») en Loire-Atlantique. Des écailles du Sénéçon. Totalement néophyte, J’ignorais leur éventuelle dangerosité, me voilà rassuré (il y a de jeunes enfants dans le coin).
    Cela le conforte dans mon idée d’intervenir le moins possible dans mon jardin et de laisser faire. Cette année, la biodiversité est en très grande forme chez moi.
    Encore merci et bonne continuation.
    Green

    J’aime

  3. J’adore ce site et surtout la passion qui en émane. Je me retrouve parfaitement au même âge. Bravo, pour les photos, la narration, le niveau des recherches. Je vais actualiser mon site (que souvent tu mentionnes et je t’en remercie) pour illustrer les différences entre les L1 et L2 d’Hyles vespertilio et Proserpinus proserpina, ça se ressemble beaucoup. Mais tu verras que c’est possible de dire qui est qui. Encore toutes mes félicitations. JH

    J’aime

Laisser un commentaire